La mosaïque de la maison du Sacré Cœur, Journal d’une maison d’accueil d’enfant en période de confinement #3

Episode 3 – Lionel Pastour, éducateur

Pendant cette période de confinement inédite, nous avons eu envie de donner la parole aux professionnels qui restent mobilisés chaque jour pour que l’accueil des plus vulnérables se fasse, coûte que coûte.

C’est Lionel Pastour, éducateur de Jeunes Enfants, qui nous raconte cette semaine son expérience du confinement à la Maison du Sacré Cœur, foyer qui accueille des jeunes de 6 à 21 ans confiés par l’Aide Sociale à l’Enfance.

 

« A l’annonce du confinement, je rentrais de congés. C’était le 17 mars et tout m’est tombé dessus : la panique, l’incrédulité, le stress de mes collègues, gérer l’urgence. C’est arrivé comme un couperet et il a fallu rebondir immédiatement.

J’ai tenu à rester rationnel. Avec mes collègues, nous avons construit un rythme de journée inédit pour que les enfants conservent leurs repères : réveil, scolarité, activités, actes du quotidien. 

Jusqu’à présent, je n’ai pas d’angoisse : je me dis qu’il y a une intelligence collective qui travaille d’arrache-pied et met sa compétence pour trouver un remède. Ma compétence à moi, c’est de m’occuper des enfants, et de faire en sorte qu’ils soient bien alors je m’y consacre.

Je connais bien les enfants que j’accompagne : mon équipe a été recrutée sur un espace rénové à neuf, avec un groupe d’enfants nouvellement accueilli pour la plupart. On les a découvert, on chemine ensemble depuis deux ans. Les enfants nous font suffisamment confiance pour venir déposer leurs angoisses. Ceux qui sont présents ont entre 8 et 12 ans, on peut échanger et leur faire comprendre les choses.

Ce sont malgré tout des enfants carencés, et certaines mesures comme le fait de ne pas se toucher, sont compliquées à gérer. On verbalise, mais ce n’est pas facile d’expliquer à des enfants qui ont des parcours de rupture que refuser le contact est un geste barrière, pour se protéger eux, et nous. A part le fait qu’ils ne peuvent pas sortir : ils sont calmes, on a eu aucun incident depuis le début. Mais il commence à y avoir la fatigue, les enfants sont très en demande, ils nous sollicitent beaucoup et les gestes barrières ne tiennent pas toujours. Expliquer à un enfant carencé qu’on ne peut pas le toucher n’est pas toujours simple.

On essaie surtout d’éviter la psychose au travail, de mettre des mots.  Notre enjeu est de maintenir la sérénité dans la structure, même si les enfants ne sont pas vraiment dans la peur, ils sont très à distance de tout ça. 

Actuellement, nous sommes 12 éducs à travailler sur un cycle de 3 jours consécutifs, de 9h à 22h. Un éducateur scolaire est en soutien la journée et les nuits sont assurées par un surveillant de nuit. Le temps scolaire est certainement le plus compliqué mais on réussit à obtenir des enfants leur participation.

Avec cette période, nous avons du temps pour être ensemble, pour vivre ensemble et travailler autour du lien. On cuisine, on joue aux jeux de société, on borde les enfants, les temps de soin et de repas sont plus longs… Nous n’avons pas toujours le temps pour ça. On sanctionne aussi, en vase clos, nous assurons plusieurs rôles.

Les choses tiennent aussi du fait que la structure est bienveillante : on est assez conciliants en temps normal, encore plus avec la situation actuelle. Il y a des éducs qui sont engagés, qui ne font pas leur métier à moitié et ça rend les choses plus faciles. Par exemple, on a plus de réunion depuis un mois, et on arrive malgré tout à repenser des choses.

Quand jetais en formation, j’ai lu « Cent mots pour être éducateur » de Philippe Gaberan, où il aborde la notion de la temporalité, et de ce qu’on y met. En ce moment, on vit un temps suspendu. Il y a beaucoup à faire, on ne peut tout accomplir mais nous sommes attentifs les uns aux autres.  

Je rencontre des éducs avec qui je ne travaille pas habituellement, un système de solidarité s’est mis en place, on n’hésite pas à s’entraider, les nerfs sont rapidement à fleur de peau. 

En ce moment, on a la sensation de courir partout entre les enfants présents dont il faut gérer le quotidien du lever au coucher, ceux qui sont dans leur famille et avec qui il faut rester en lien ; on appelle régulièrement, on envoie les devoirs ; la charge de travail est conséquente. Ma joie de vivre et le fait d’être positif sont essentiels dans mon boulot. Alors je me dis que si dans ce contexte lourd et incertain, on oublie que le soleil brille, on a tout perdu !

 

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