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Qu’est-ce que le savoir habiter ?

Environ 4 millions de personnes sont mal-logées en France. D’autres n’ont même pas la possibilité de bénéficier d’un hébergement. Les professionnels du secteur social et médico-social tentent quotidiennement de trouver des solutions pour les personnes en situation de grande précarité. Mais une fois qu’elles sont dans leur habitation, encore faut-il qu’elles soient en mesure d’accéder au savoir habiter, c’est-à-dire de l’utiliser et l’entretenir convenablement.

C’est pourquoi les intervenants doivent mettre en place des accompagnements adaptés afin que les bénéficiaires puissent espérer avoir un logement pérenne. Ici encore, la formation a l’avantage de leur apporter les outils nécessaires pour faire face aux situations les plus complexes.

Habiter ne veut pas dire savoir habiter 

Selon Le Petit Larousse, habiter signifie « avoir sa demeure ». La demeure est une sorte de cocon, d’abri qui préserve des agressions extérieures. Le logement constitue donc le socle à partir duquel  il devient possible de se construire, de trouver un équilibre, et de s’intégrer dans la société. 

L’habitation est un espace privé protecteur de l’intimité de chacun, et où il est possible de se soustraire au regard des autres. En ayant un chez-soi, il est alors possible d’envisager une amélioration de ses conditions de vie (retrouver sa dignité, trouver un travail, etc.), et de prendre soin de soi. Habiter, c’est ce qui permet à l’individu de montrer aux autres qu’il existe, de se sociabiliser. C’est pourquoi l’accès au logement est essentiel au processus d’insertion.

Habiter, c’est aussi cohabiter

Habiter signifie également cohabiter avec ses voisins. Cela nécessite le respect d’un certain nombre d’obligations puisque les familles n’ont pas toujours la même culture, les mêmes valeurs. Des tensions peuvent émerger, car les cultures de l’habiter diffèrent selon les ménages. 

Certaines personnes peuvent également être sujettes aux addictions (alcool, drogue, etc.), avoir des troubles du comportement ou des maladies psychiques, ce qui peut renforcer les troubles du voisinage. Le refus de soin est également une réalité à prendre en compte, ce qui entraîne une dégradation de l’état de santé de certains individus même après leur accès au logement. 

Habiter, cela s’apprend

Pour pouvoir construire un chez-soi, il faut apprendre le savoir habiter. En effet, on peut avoir un logement, mais ne pas savoir l’habiter. Le savoir habiter est la faculté d’utiliser, de s’approprier et d’entretenir son domicile. Cet apprentissage est particulièrement important pour les personnes vulnérables qui ont parfois passé des mois, voire des années dans la rue. Elles doivent réapprendre à vivre dans un logement, se l’approprier, et reprendre une vie basée sur la norme. 

Paradoxalement, il est parfois compliqué pour elles de passer d’un espace ouvert à tout le monde, insécurisé, à un lieu clos et protecteur. Elles peuvent avoir une sensation d’étouffement, car elles se retrouvent seules face à elles-mêmes. Il faut donc qu’elles puissent occuper ce nouvel espace en le façonnant à leur image.

Pour cela, divers types de logements doivent pouvoir être proposés afin qu’elles puissent procéder par étapes et réussir à se réapproprier totalement leur lieu de vie, mais aussi devenir autonomes.

Faire accéder les personnes défavorisées à un logement décent inclut donc également la notion d’accompagnement. En effet, une fois que la personne est logée, il y a tout un travail à continuer, car avoir un logement ne signifie pas aller bien.

Différents types de publics sont concernés par l’accompagnement social au logement

Il existe plusieurs types de personnes vulnérables, c’est pourquoi l’accompagnement doit être adapté en fonction des différentes situations.

Les personnes ont déjà un logement

Bien qu’elles aient déjà accès à un hébergement, elles rencontrent de grandes difficultés à un certain moment de leur vie, et ont besoin d’un accompagnement pour rester durablement dans leur habitation.

Les personnes qui vont bientôt accéder à un logement

Il peut s’agir d’un logement autonome ou de transition, mais elles n’ont jamais été logées auparavant ou sont en situation de grande fragilité.

Les personnes qui habitent dans des logements insalubres

Elles sont dans des situations très précaires, leur habitation ne leur permet pas de vivre dans la dignité.

Les personnes ne bénéficiant pas de domicile

Les SDF n’ont accès à aucune aide, et n’ont que la rue. Souvent, ils souffrent de problèmes de santé importants ou de troubles psychiques.

Le savoir habiter doit être évalué dans le cadre de l’accès au logement 

Les travailleurs sociaux doivent élaborer un diagnostic afin de pouvoir adapter au mieux leurs accompagnements dans l’accession au logement. Celui-ci porte sur 5 points :

Pouvoir louer 

Il faut d’abord étudier si la personne remplit les conditions réglementaires pour accéder au logement : être en situation régulière sur le territoire, avoir la majorité, remplir certaines conditions de revenus, etc.

Savoir louer

Il faut également analyser si elle est en mesure d’assurer financièrement un logement autonome.

Savoir s’approprier le logement

Il ne suffit pas de fournir un logement à une personne vulnérable. Il est important de s’assurer qu’elle est apte à l’utiliser et à l’entretenir convenablement.

Savoir s’adapter au voisinage

Les occupants doivent être conscients des règles de vie en collectivité afin d’entretenir de bonnes relations avec les autres habitants.

Analyser le type d’accompagnement social à mettre en place

En fonction des situations, il faudra étudier quel est le type de logement social le plus adapté pour la personne (si elle est en situation de handicap, par exemple), si elle est apte à résider dans un logement autonome, et étudier quels sont les freins qui l’en empêchent.

En cas de logement temporaire, le locataire doit être accompagné d’un point de vue administratif, technique et financier : le professionnel doit lui apprendre à gérer son budget, à entretenir son logement ainsi que les parties collectives de l’immeuble, à acquérir un certain nombre de responsabilités afin de pouvoir intégrer un logement pérenne.

L’accompagnement social dans le cadre du savoir habiter comporte plusieurs objectifs

Le but principal de l’accompagnement social est d’aider la personne qui doit accéder au logement à devenir indépendante.

Il n’est pas obligatoire que la personne vulnérable passe par un logement transitoire avant de pouvoir accéder à un logement autonome.

Faire prendre conscience au locataire de ses droits et devoirs 

L’objectif est d’apprendre à l’individu à intégrer les responsabilités dont il doit faire preuve en tant que locataire :

  • veiller à ne pas déranger le voisinage ;
  • régler le loyer ainsi que les charges liées à la location ;
  • entretenir correctement le logement ;
  • réparer les éventuelles dégradations dans le domicile ;
  • souscrire une assurance.

Apprendre les bons gestes pour l’entretien du logement temporaire

Le travailleur social doit sensibiliser le locataire au respect du logement, mais également des parties communes. Il insiste notamment sur le mobilier et l’électroménager déjà présents dans l’habitation, mais également sur l’importance d’aérer pour éviter les tâches et moisissures. Dans un second temps, le professionnel lui détaille les autres parties à entretenir dans le logement (murs, fenêtres, moquettes, etc.) pour qu’il reste dans un état correct jusqu’à sa sortie.

Apprendre au locataire à gérer son budget

Le professionnel doit vérifier comment le locataire gère son budget pour qu’il puisse faire face à toutes ses dépenses. Il est nécessaire de lui apprendre à prévoir les différents paiements à effectuer (loyer, électricité, etc.) afin qu’il ne se retrouve pas à découvert, mais aussi à épargner pour affronter les imprévus, mais aussi équiper et meubler son futur logement autonome.

Il est également important de lui montrer comment il est possible de ne pas trop affecter un budget en évitant de surconsommer l’énergie (éclairage, électroménager, etc.). Cette sensibilisation est essentielle pour prévenir les risques de précarité énergétique.

Quand le recours aux hébergements de transition est nécessaire, les maisons relais peuvent être un bon moyen de préparer certaines personnes défavorisées à accéder par la suite à un logement autonome.

Les maisons relais permettent d’accéder au savoir habiter 

Elles constituent une bonne alternative pour les personnes ayant très peu de ressources, isolées et exclues socialement, et qui ne peuvent donc pas accéder à un logement ordinaire. La plupart sont en grande souffrance, ont des maladies psychiques.

L’objectif est de leur permettre, petit à petit, de s’intégrer dans leur environnement, de s’approprier leur logement, de tisser des liens, et ainsi d’accéder au savoir habiter.

Les personnes accédant aux maisons relais peuvent y résider autant de temps qu’elles en éprouvent le besoin. Cela ne signifie pas pour autant qu’il s’agisse d’une solution définitive, mais que les résidents progressent à leur rythme. Le maître de maison ou hôte est quotidiennement présent.

Les maisons relais permettent de répondre à la question du logement d’abord. Nous l’avons vu, pour lutter contre l’exclusion, la personne doit d’abord avoir un toit sur la tête. C’est la condition essentielle pour pouvoir ensuite l’accompagner et lui donner les moyens de sortir de sa précarité. Sans logement, aucun travail ne peut être fait. Les maisons relais donnent la possibilité d’obtenir un chez-soi. Mais une fois dans le logement, encore faut-il que la personne apprenne à l’utiliser et à l’entretenir.

Certaines personnes peuvent ne pas supporter de rester seules et importuner le voisinage, d’autres se replier sur elles-mêmes, etc. Le logement ne fait pas tout, il y a tout un accompagnement à mettre en place. Les maisons relais œuvrent dans ce sens puisqu’elles font prendre conscience à la personne accueillie de l’environnement qui l’entoure.

Le travailleur social doit donc analyser les différentes difficultés de l’individu, et mettre en place rapidement un accompagnement adapté en fonction du profil. Il est important de nouer une relation de confiance.

Les maisons relais fournissent un cadre qui va permettre à l’accompagné de prendre conscience de ses responsabilités : il a un statut de résident (il signe un contrat de résidence), et il doit se soumettre à un règlement de fonctionnement. Le travailleur social accompagne la personne pour qu’elle puisse se rendre compte de ses libertés, mais également des limites qu’elle ne peut pas dépasser grâce à ce cadre. Les professionnels prennent aussi en charge l’individu afin qu’il puisse recouvrir une identité sociale, devenir un citoyen à part entière.

Les maisons relais permettent la socialisation en proposant des moments d’échanges collectifs (activités diverses effectuées collectivement, repas, projets construits à plusieurs, etc.). Le but est d’aller à la rencontre de l’Autre. Petit à petit, en apprenant à se confronter aux règles de vie en commun, la personne va apprendre le respect mutuel, à accepter les différences de chacun.

Les travailleurs sociaux doivent faire preuve de bienveillance, effectuer un travail d’écoute, surtout lors des temps collectifs afin que les résidents osent s’exprimer, et ainsi sortir de leur isolement. Cela permet de restaurer l’estime de soi, car chacun se sent compris. L’objectif est que chaque résident comprenne qu’il a de la valeur et des compétences, mais qu’il a besoin qu’on l’aide à en prendre conscience et à les utiliser.

La maison relais permet ainsi de préparer à l’accession à un logement autonome pour les personnes les moins vulnérables.

Le cas particulier des populations migrantes dans le savoir habiter

Les migrants qui s’installent dans un autre pays ont tout un travail d’adaptation à effectuer pour s’intégrer à leur nouvel environnement. Le logement en fait partie, car ils doivent pouvoir faire cohabiter leurs modes d’habiter liés à leur propre culture avec ceux de la société d’accueil.

Les professionnels sont parfois démunis face à certains comportements qui peuvent les déstabiliser et bousculer leurs propres représentations. C’est pourquoi avant d’accompagner ces personnes, il est important qu’ils rejoignent la vision du monde de l’autre. Sans cette approche, ils ne pourront pas comprendre pourquoi une famille de migrants se comporte de telle manière dans son logement, et ne seront pas en mesure de la faire accéder au savoir habiter.

Le logement est imprégné de la culture de chacun

Le domicile d’une personne reflète son histoire, sa culture. Chacun s’approprie son domicile à sa façon afin qu’il s’y sente bien, et surtout chez lui. 

Cette appropriation diffère en fonction de la situation économique, de la culture, etc., des individus.

Un lieu central

Dans la plupart des cas, l’attachement au logement est fort. Il est le point central où toute la famille se retrouve, il est porteur de la vie affective et sociale, et fait alors l’objet d’une attention particulière (entretien, décoration, etc.). 

Pour certains, le logement constitue un repli face à une société considérée comme inhospitalière. Pour d’autres, il s’agit plus d’un lieu d’apaisement qui leur permet de puiser les ressources pour se construire à l’extérieur.

Un lieu protégé

Le logement est protecteur, il permet de rompre avec l’extérieur. C’est le lieu où chacun se sent libre de se comporter comme il le souhaite. Le domicile représente l’individualisme si cher à notre société actuelle.

Un lieu marqué par la culture familiale

L’habitation est le lieu où se mettent en place des règles de vie, une culture propre aux membres qui y vivent. Cette culture familiale amène les individus de ce groupe à se comporter de telle ou telle manière à l’intérieur, tout comme à l’extérieur. C’est pourquoi certaines personnes ne faisant pas partie de ce groupe (collègues de travail, professionnels du secteur social et médico-social, etc.) peuvent être perturbées par ce mode de vie qui ne leur est pas familier (choc culturel).

L’habitat des populations migrantes revêt des spécificités

Les migrants arrivant dans une société d’accueil retrouvent une forme de sécurité à travers le logement. C’est le lieu où ils peuvent pratiquer leur culture, dévoiler leur mode de vie, face à un monde extérieur anxiogène. 

Le racisme, la xénophobie, font malheureusement partie de leur quotidien. Beaucoup ne se sentent pas chez eux, ont un sentiment d’insécurité, et font en sorte de ne pas être vus.

C’est ainsi que les quartiers communautaires se développent, car ils représentent une sorte de cocon, d’intermédiaire entre le logement et la société d’accueil. Les populations migrantes y trouvent tout ce dont elles ont besoin pour s’imprégner à nouveau de leur culture (commerces avec des produits de leur pays d’origine, lieux de regroupement, etc.). Dans ces quartiers, les migrants sont plus enclins à afficher leur identité.

Parfois, certains immigrés considèrent que c’est la maison ou l’appartement qu’ils ont encore dans leur pays d’origine qui représente véritablement le chez-soi. Le logement qu’ils occupent dans le pays d’accueil n’est que le lieu où ils résident pour pouvoir subvenir aux besoins de leur famille. Ils n’y accordent donc pas d’attachement particulier. Ils essaient simplement d’y conserver certaines valeurs qui leur sont essentielles.

Les professionnels du social respectent l’intime et la culture de l’autre dans leurs accompagnements

Quand les professionnels sont amenés à se rendre au domicile des populations migrantes dans le cadre d’un accompagnement social au logement, les règles de l’accueil diffèrent de celles de l’institution. Il est essentiel de respecter l’intimité de la famille afin que ses membres ne ressentent pas cette venue comme une intrusion, surtout s’ils se sentent mal à l’aise ou rejetés par la société d’accueil. En effet, le professionnel est considéré comme l’Autre faisant partie de ce monde extérieur potentiellement dangereux.

À l’inverse de l’accueil en institution, les intervenants sont donc en position inférieure par rapport à la personne qui habite le logement.

Encore une fois, chaque professionnel doit rejoindre la vision du monde de l’autre pour que l’accompagné comprenne qu’il n’est pas question de lui faire perdre son identité, ses valeurs, mais qu’il a besoin d’aide pour réussir au mieux à s’approprier son logement ainsi que son intégration dans la société qui l’entoure.

Les travailleurs sociaux doivent être accompagnés pour dépasser leurs difficultés  

Les professionnels peuvent se retrouver en grande souffrance face à la vulnérabilité des personnes qu’ils accompagnent. Même s’ils savent que l’accompagnement est indispensable pour leur permettre d’accéder au savoir habiter, la réalité du terrain peut provoquer un certain découragement.

Se pose également la question des limites dans l’accompagnement. Lorsqu’un travailleur social arrive dans un appartement dans lequel le ménage n’est jamais fait, comment aborder cette question avec l’accompagné sans l’offenser ? Peut-il parler de sa vie privée si la personne vulnérable lui pose des questions ? L’accompagnant peut avoir du mal à savoir comment se comporter en fonction des situations rencontrées.

Participer à des groupes d’analyse de la pratique

Cela peut être une bonne solution afin que l’accompagnant puisse être lui-même accompagné. L’analyse de la pratique permet de confronter sa manière de faire avec d’autres professionnels et ainsi d’améliorer son accompagnement. C’est une des conditions pour permettre la prise de recul, éviter le burn-out, etc.

Travailler en réseau 

Le travail en partenariat est également une bonne option, car il permet de partager ses préoccupations avec les autres acteurs concernés, et d’améliorer les actions de coordination. Ainsi, les professionnels parviennent à mieux orienter les publics qu’ils accompagnent.

Se former au savoir habiter

La formation reste l’élément majeur permettant aux professionnels de répondre au mieux aux diverses situations rencontrées. Elle favorise l’acquisition d’outils efficaces pour évaluer les besoins en accompagnement social.

Chez Epsilon Melia, nous avons créé une formation de 2 jours sur le savoir habiter et les questions de l’accompagnement vers le logement. Elle est destinée aux professionnels du secteur social et médico-social qui souhaitent renforcer leurs compétences pour ne plus être démunis face à des situations complexes.

N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez en savoir plus sur cette formation.

 

Nous remercions vivement Blandine Etienne, formatrice sur le savoir habiter et animatrice de GAP, pour l’aide précieuse qu’elle nous a apportée pour la rédaction de cet article.