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Créer le projet d’établissement : une démarche collective, ancrée dans la réalité du terrain

Transformer un cadre réglementaire en outil vivant : comment co-construire un projet d’établissement ancré dans les pratiques et porté par tous ?

Dans cet article

Le projet d’établissement : de quoi parle-t-on ?

Le projet d’établissement (ou projet de service) est un document obligatoire pour l’ensemble des établissements et services sociaux et médico-sociaux (ESSMS), publics ou privés.

Il est inscrit dans la loi du 2 janvier 2002, qui pose les bases de l’action sociale et médico-sociale rénovée. Ce cadre exige qu’il soit élaboré avec la participation des professionnel·le·s, et, dans la mesure du possible, des personnes accompagnées et de leurs familles.
Ce document de référence doit être actualisé tous les cinq ans, aligné sur le projet associatif ou de l’organisme gestionnaire, et cohérent avec les moyens mobilisés pour répondre aux besoins des usagers.

Le décret n°2024-89 de février 2024 : un renforcement des exigences

Un décret récent est venu renforcer ce cadre. Pris en application du référentiel d’évaluation de la qualité de la HAS, le texte impose désormais l’intégration d’une évaluation des risques de maltraitance dans le projet d’établissement. Il souligne aussi la nécessité d’une co-construction réelle du projet, et d’une articulation étroite avec la démarche qualité de l’établissement.

Comme le souligne Yann Lecouturier, « ce décret de 2024 a renforcé les attendus : le projet d’établissement doit désormais inclure une évaluation des risques de maltraitance. C’est à la fois une feuille de route stratégique et un repère opérationnel ».

"Le projet n'est pas seulement un document obligatoire, c’est la colonne vertébrale d’un service ou d’un établissement"

Yann Lecouturier

Le projet d’établissement : un outil pour demain, construit aujourd’hui

Au-delà du cadre réglementaire, ce projet constitue un véritable levier de transformation, s’il est pensé comme un espace de réflexion collective sur les pratiques, les valeurs et les perspectives.

Isabelle Jarrige rappelle qu’« il définit ce qui est fait, comment et pourquoi, mais il doit également être tourné vers l’avenir, sur les cinq prochaines années. Ce n’est pas un document qu’on range dans un placard, c’est un outil de pilotage quotidien ».

Le projet d’établissement engage donc la structure dans une dynamique d’adaptation permanente : aux évolutions de la loi, aux transformations du public, à l’évolution des équipes.

Une démarche co-construite… et ancrée dans le réel

La qualité d’un projet d’établissement repose d’abord sur la richesse des regards croisés. Comme le dit Isabelle Jarrige, « plus on implique les acteurs de terrain, en particulier ceux en première ligne, plus ça va susciter du mouvement. Ce sont eux qui le font vivre ! Dans les projets d’établissement que j’ai eu l’occasion d’accompagner, je demandais à l’ensemble des équipes, y compris les personnes de l’entretien, les secrétaires… ».

Cette co-construction se traduit concrètement par :

  • des groupes de travail thématiques, intégrant aussi bien les éducateurs que les agents d’entretien ou les secrétaires ;
  • un comité d’écriture fixe, garant de la continuité du processus ;
  • des outils adaptés (images, pictogrammes, supports visuels) pour associer les familles et les personnes en situation de handicap complexe lorsque la situation l’exige;
  • une présentation du projet au CVS, comme espace de validation et de dialogue démocratique.

Des prérequis essentiels pour un vrai travail collectif

La condition première à la réussite de cette démarche, c’est le climat au sein de l’équipe. Isabelle Jarrige insiste : « il faut s’assurer qu’on peut se parler, qu’on peut être d’accord… ou pas ! Notre rôle en tant qu’intervenant externe est de faire quelque chose de ce désaccord ».

Certaines structures ont besoin d’un temps de régulation en amont, surtout lorsque les tensions internes, le turnover ou les changements de direction ont fragilisé les dynamiques collectives. Dans ces contextes, le regard extérieur d’un accompagnant peut faire toute la différence, en redonnant du sens, de la méthode, et surtout, du temps.

Un document structurant… mais pas technocratique

Si le projet d’établissement est un cadre formel, il ne doit pas devenir un outil déconnecté du terrain. Il doit au contraire permettre de valoriser les pratiques, les savoir-faire, les initiatives locales.

« Structurer la pensée et l’action par des écrits, ce n’est pas déconnecter les professionnels du terrain. Au contraire, c’est aussi leur permettre de valoriser ce qu’ils font déjà mais qui n’est pas toujours perceptible », rappelle Yann Lecouturier.

C’est aussi un levier de négociation avec les financeurs et les autorités de contrôle, un espace pour rendre visible ce qui est souvent invisibilisé dans les pratiques du quotidien.

Un outil au service de la qualité… et de la fidélisation
Dans un contexte marqué par un turnover élevé, la pénurie de personnel et un sentiment d’épuisement des équipes, le projet d’établissement peut jouer un rôle fédérateur et mobilisateur.

Comme le rappelle Isabelle Jarrige, « une équipe peut fonctionner sans direction, mais pas l’inverse, il faut toujours garder ça en tête. Si le projet est bien mené, il peut recréer du lien, du sens, de la stabilité ».

C’est un outil de cohésion, mais aussi de reconnaissance, qui peut contribuer à fidéliser les professionnels en redonnant de la visibilité à leur engagement.

Un pilier de l’évaluation qualité

Dans le cadre de la nouvelle démarche d’évaluation de la qualité conduite par la HAS, le projet d’établissement peut être une vraie boussole pour l’équipe. Yann Lecouturier rappelle que ce document, co-construit avec la gouvernance, les professionnels et les personnes accompagnées, « permet de définir ce qui est fait aujourd’hui, avec qui, et dans quel objectif, tout en traçant une perspective d’adaptation aux besoins des personnes accompagnées et aux évolutions du secteur ».

Il ne s’agit donc pas seulement d’un document interne : le projet d’établissement constitue une clé de lecture essentielle pour les partenaires, financeurs mais aussi pour les évaluateurs qui viennent rencontrer la structure. “Il donne à voir l’identité de l’établissement, les valeurs qu’il porte, les moyens mobilisés, les publics accompagnés et la manière dont les actions sont mises en œuvre. Lors de l’évaluation, il fait partie des éléments de preuve mobilisés pour apprécier la qualité de l’accompagnement, en cohérence avec les critères du référentiel HAS.”

La récente obligation, introduite par le décret de 2024, d’y intégrer une évaluation des risques de maltraitance, renforce son importance. “C’est à la fois une feuille de route stratégique pour l’établissement, et un repère opérationnel dans le quotidien des équipes. Son actualisation tous les cinq ans, en lien avec l’évolution des pratiques et du cadre réglementaire, permet de garantir une démarche continue d’amélioration de la qualité, articulée avec les attendus de la HAS.”

En résumé : 5 principes pour un projet d’établissement vivant

  • Co-construction avec tous les acteurs (professionnels, gouvernance, usagers, familles),
  • Ancrage terrain : partir de ce qui est fait et de ce qui doit évoluer,
  • Réflexion collective : ouvrir un espace de parole et de pensée,
  • Mise en œuvre suivie : comité de pilotage, objectifs, échéances,
  • Référenciel HAS : maltraitance, droits, participation, bientraitance…

"Dans un contexte de turnover très important et de grande instabilité dans les équipes, un projet d'établissement bien mené est un vrai levier de fidélisation".

Isabelle Jarrige