À la découverte de la systémie #3 – François

Le Média d’Epsilon Melia poursuit son exploration de l’approche systémique stratégique dans le travail social. Aujourd’hui, François Testa, éducateur spécialisé et intervenant systémicien, revient sur des situations concrètes rencontrées dans sa pratique. L’objectif de ces vignettes ? Comprendre le fonctionnement de l’approche stratégique et son originalité au sein du champ social et médico-social.


François Testa travaille dans le champ de la protection de l’enfance depuis près de 30 ans. Il découvre son métier en 1991, au hasard d’une offre d’emploi de moniteur en éducation familiale. Il est séduit par ce qu’il y trouve : l’amélioration des relations par le « faire ensemble », la possibilité d’aider les gens de manière concrète et efficace. Il passe les diplômes de travailleur familial, de moniteur éducateur puis d’éducateur spécialisé. Intervenant systémicien et formateur, il est aussi référent ASE auprès du département du Val-de-Marne depuis 2017.

François Testa

I) Une approche qui remet en cause la méthodologie traditionnelle du champ du social

De la thérapie brève au champ du social

François Testa rencontre la systémie en 1995 : un collègue lui met entre les mains l’œuvre de Paul Watzlawick. « Le mot de système n’y est pas, mais on y retrouve les termes de relation d’aide et de regard interactionniste, l’idée de penser les relations entre les gens et le contexte dans lequel ils s’inscrivent », nous explique-t-il. François décide de se former à l’approche systémique à l’Université Paris 8 et au Centre Monceau[1]. Son stage en thérapie brève orientée solution auprès de Marie-Christine Cabié[2] est fondateur : « en lisant ses textes, je remplaçais les termes de patient ou de client par ceux de personne aidée ». L’idée d’appliquer les grands principes de la thérapie systémique au champ du social s’impose peu à peu dans sa pratique.

Travail social : où commence la « maladie » ?

Lors de notre entretien, François tient à revenir sur l’histoire du travail social. Ce dernier apparaît dans les années 1920 avec la création du diplôme d’assistante sociale (AS). Plusieurs activités sont regroupées sous ce titre et les nouveaux professionnels doivent trouver une méthodologie commune pour faire corps. Or, l’époque se caractérise par la pensée positiviste : forts des récents progrès techniques – électricité, vaccin, aviation… –, les hommes croient en les pouvoirs de la science. Les travailleurs sociaux vont donc investir la méthodologie médicale : observer (les symptômes), comprendre (quelle maladie) puis agir (pour guérir).

Pour François, cette analogie a ses limites. Car « quelle est la maladie traitée par le travail éducatif ? Comment la définir ? ». Dans sa pratique, il constate que le fait de comprendre ne permet pas toujours d’agir efficacement : « parfois, on comprend et la situation n’avance pas. Et inversement, parfois on comprend mal, ou faux, mais ça avance quand même ». L’idée selon laquelle le mal-être disparaît quand on a identifié sa cause ne se vérifie pas en toutes circonstances. Bien sûr, cela peut fonctionner ; mais cela peut aussi ne pas fonctionner. Et puis, comment définir strictement la cause d’un comportement ou d’une chose ? François pose souvent cette question à ses stagiaires : « Quelle est la cause du goût du gâteau ? ». Le groupe énumère : relation entre les aliments, température, ustensiles, qualité des ingrédients, savoir-faire du chef… Il semble que l’univers entier joue un rôle dans cette affaire ! « L’explication de la cause n’est pas la cause. En fait, la cause est un tricotage… Quand on cherche à donner du sens, on est souvent réducteur », résume l’éducateur.

En réalité, François ne rejette pas la possibilité d’interroger la cause – mais il la considère, justement, comme une possibilité d’amélioration parmi d’autres. C’est cela que lui apprend la systémie. « Quand je suis face à quelqu’un, plutôt que de chercher le problème, je cherche ses ressources ». Dans la tradition ericksonienne, François revendique un certain « opportunalisme » : quand il rencontre la personne aidée, il explore grâce aux outils systémiques toutes les possibilités de solution qui s’offrent à lui.

Quelles sont-elles ? Comment fonctionnent ces outils ? François nous partage sa méthode au travers de cas concrets.

II) L’approche systémique stratégique : quelques ressources et pistes d’action au travers de cas concrets

Esprit du service

Aller chercher l’exception

L’approche systémique orientée solution engage l’intervenant à s’appuyer sur les ressources de la personne aidée. Mais comment les identifier ? « On peut chercher l’exception », propose François. Que se passe-t-il, ou que s’est-il passé, quand la personne ne souffre pas de son problème ?

Pour illustrer cette idée, François évoque une situation entre une mère et son fils de 15 ans. Il intervient au domicile et s’entend dire par les deux aidés : « On est tout le temps en conflit ». François les prend au mot : « Tout le temps en conflit ? Vingt-quatre heures sur vingt-quatre ?! ».  Alors, la mère et le fils nuancent. Non, ils ne se disputent pas en continu ; ils arrivent même à définir qu’ils ne se disputent jamais sur le balcon (pour les voisins…) ni dans le canapé en cuir très confortable du salon. Sans le dire, François leur a donc donné des moyens de ne pas se disputer !

Il leur propose une injonction paradoxale thérapeutique[3] : « à chaque fois que vous vous disputerez, vous pourrez vous dire la chose suivante : nous sommes d’accord sur notre désaccord. D’ailleurs, si tu le souhaites, je t’invite à ce que nous continuions à nous disputer dans notre merveilleux canapé. » Tant pis s’ils n’appliqueront jamais cette prescription ! L’enjeu est surtout de leur faire entendre qu’ils ont les moyens de ne pas se disputer. Les outils de la systémie stratégique visent à responsabiliser la personne aidée. L’injonction paradoxale et l’humour sont des moyens de décaler le regard d’un individu sur la situation dans laquelle il se trouve et de lui donner à voir les ressources qu’ils ne soupçonnaient pas.

Grâce à ce changement de perspective, cette mère et son fils ont pu résoudre leur problème relationnel après deux rendez-vous.!

Donner du sens plutôt que chercher le sens

Un jour, François reçoit en entretien un père et son petit garçon, que l’on pourrait dire agité. Le rendez-vous se déroule à la crèche et l’enfant s’absente une demi-heure pour la sieste. Seul avec l’éducateur, le père s’exprime : « Mon fils est nerveux, comme dit l’autre ». L’expression revient plusieurs fois, et François croit comprendre que cet autre désigne la crèche. C’est surtout le terme comme qui retient son attention : il met la phrase à distance et par là, laisse entendre que le père ne s’est pas approprié cette vision de son fils.

François propose alors une reformulation avec une connotation positive – « c’est vrai qu’il est vif ». Puis il déroule le champ lexical associé : l’enfant devient « très vivant », « plein d’énergie », etc. Le père ne répond pas mais François remarque que son œil frise… Au rendez-vous suivant, lorsque le père revient, il est plus enthousiaste. « Mon fils est plein de vie ! » s’exclame-t-il, sans utiliser le comme cette fois.

D’autres termes auraient pu être posés sur cet enfant, comme ceux d’hyperactivité ou de troubles de l’attention. Mais François s’interroge : ces mots-là auraient-ils aidé le père à se ressaisir de son histoire ? « Je ne crois pas qu’il faille rechercher le sens, mais du sens. Ce qui fait sens pour l’autre », résume-t-il. En systémie, il est plus important d’aider que de comprendre. 

Aborder la non-demande

Nous l’avons vu avec les portraits de Laurence et de Marianne : les familles sont orientées vers l’intervention sociale sur décision judiciaire. On parle d’aide sous contrainte. La personne reçue n’a pas demandé à être aidée, elle y est obligée. Comment travailler avec ce paradoxe ?

François ne s’offusque pas quand les familles résistent à l’intervention. Au contraire, il y voit une compétence : refuser une aide imposée est un comportement sensé. Mais l’intervenant et le bénéficiaire doivent ensuite composer avec la réalité. Une audience a été fixée et le parent, s’il veut conserver la garde de son enfant, doit convaincre le juge. Le travailleur social doit rendre son rapport. Mais comment avancer ensemble et faire alliance, par-delà la résistance première ? « Dans ce cas, je soigne la relation », répond François.

En premier lieu, il assure la personne de son honnêteté : « S’il y a un problème qui vous empêche de vous occuper de vos enfants, je l’écrirai ». Puis, très vite, pour sortir d’une relation d’opposition, François cherche à faire alliance grâce à l’humour ou à la dédramatisation. Surtout, il cherche à rejoindre l’autre dans ses valeurs.

À ce propos, il cite l’exemple d’un père très en colère contre son ado placé. Son fils ne veut plus le voir, mais ne le lui a jamais dit en face. Le père s’énerve : il invoque ses origines siciliennes et son exaspération de voir son fils se comporter avec lâcheté ! Dans son discours, François entend son attachement aux valeurs familiales, en particulier la franchise. Il le verbalise : « Je devais faire comprendre à cet homme que je le reconnaissais comme un bon père soucieux de transmettre des valeurs à son fils ». Ainsi la personne n’est pas remise en question dans ce qu’elle est, mais elle est amenée à penser ce qu’elle fait. François interroge le père : « Est-ce que la façon dont vous vous y prenez pour exprimer votre amour à votre fils fonctionne ? » ; « Non », répond-il, puisque cela génère de la colère et de la frustration.

François a donc su faire émerger, sinon une demande, une piste d’action. En substance : j’entends que vous êtes un bon père, maintenant on va travailler comment vous pouvez l’exprimer.

Pour ne pas conclure…

Nous espérons que ces exemples très concrets vous auront permis de mieux comprendre comment fonctionne l’approche systémique stratégique dans l’intervention sociale. Il nous semble que ces cas pratiques illustrent la façon dont les professionnels, quand ils sont curieux de nouvelles approches, peuvent toujours retrouver du pouvoir d’agir ! En ce sens, François Testa se forme actuellement à l’hypnose ericksonienne pour en transposer les outils dans le champ du travail social.


[1] Créé dans les années 1980 par le Pr. Pierre Angel, le centre Monceau (aujourd’hui Monceau Formations) proposent des formations en thérapies familiales.

[2] Marie-Christine Cabié est psychiatre, psychothérapeute, chef du pôle de psychiatrie Paris 11 aux Hôpitaux de Saint Maurice, formatrice en thérapie familiale systémique, en thérapies brèves et en hypnose ericksonienne. Elle est notamment l’autrice, avec le psychiatre Luc Isebaert, du livre Pour une thérapie brève, Paris, érès [Relations], 2015.

[3] telle que définie par Marie-Christine Cabié.

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