À la découverte de la systémie #4 – Laurence (cas pratique)

Le désir de donner la parole aux travailleurs sociaux et para-médicaux s’inscrit au cœur du projet du Média d’Epsilon Melia. Pour vous présenter l’efficience de l’approche systémique stratégique dans le travail social, c’est donc vers les professionnels que nous nous tournons. Trois intervenants ont déjà témoigné de la richesse de cette approche. Vous souvenez-vous de Laurence, intervenante systémicienne au sein du Service Judiciaire d’Investigation Éducative de La Sauvegarde des Yvelines ? Pour mieux comprendre comment la systémie stratégique nourrit le travail social, elle nous propose 3 vignettes cliniques tirées de sa pratique. Découvrez le non-jugement, la prescription du symptôme et la métacommunication à l’œuvre !


La puissance du non-jugement

La méthode systémique stratégique est riche et complexe. Elle se déploie en plusieurs phases tout au long de l’accompagnement et requiert souvent des ajustements. Mais parfois, remarque Laurence, nul besoin de la décliner entièrement. L’usage de quelques outils et l’adoption de la bonne posture peut suffire à générer du changement. C’est ce que nous apprend cette première situation.

1) Comprendre le contexte

Laurence reçoit les parents de Myriam*, 17 ans. Leur fille a été placée temporairement après avoir exprimé un grand mal-être auprès des adultes de son lycée. Myriam se sent oppressée par son père qui la surveille dans toutes les sphères de sa vie : téléphone, réseaux sociaux, tenues vestimentaires mais aussi alimentation – car Myriam est diabétique. Ce contrôle génère chez elle une grande souffrance et des pensées très noires. Inquiets pour sa santé psychique, les professionnels ont décidé d’un placement.

Lors du premier rendez-vous, ce sont des parents très éprouvés qui font face à Laurence. D’une part, contraints à cette consultation par le juge, ils se sentent désignés comme mauvais parents. D’autre part, ils verbalisent un attachement fort à leur enfant et ne comprennent pas comment leur relation a pu s’abimer autant, comment la famille a pu en arriver là. C’est sur ce point que Laurence fait alliance avec eux. Pour reprendre ses termes, il s’agit de comprendre dans quoi ces parents et leur fille se sont laissés prendre.

2) Rejoindre l’autre grâce au non-jugement

Les parents racontent leur désir de protéger leurs enfants, a fortiori leur seule fille. Sensibles aux faits divers, ils expriment leur peur que Myriam soit agressée sexuellement ou enlevée dans la rue. Ils reviennent également sur le diagnostic du diabète de leur fille, vieux de 2 ou 3 ans. Les médecins avaient alors insisté sur la gravité de la maladie et alerté les parents, car la jeune fille ne se pliait pas d’elle-même aux contraintes alimentaires. Le père et la mère se sentent investis du devoir de surveiller l’alimentation de leur fille. En échangeant avec eux, Laurence entend que ce contrôle s’est étendu à l’ensemble de la vie de Myriam, en écho aux appréhensions parentales. D’autant que Myriam est adolescente, donc particulièrement disposée à la contestation et à l’émancipation ! Elle a tenté de contourner leurs règles, ce qui a excité leur peur et renforcé leur surveillance.

Ensemble, Laurence et la famille de Myriam vous maintenant décrypter ce cercle vicieux. Pour en arriver à ce niveau de compréhension, il a donc fallu que les parents soient entendus dans leur vision du monde et dans leurs angoisses. Grâce au non-jugement systémique, Laurence les a rejoints dans leurs émotions et les a aidé à s’affranchir des assignations. Dans son discours, elle leur a fait entendre qu’ils ne sont pas de mauvais parents, mais qu’ils ont agit d’une certaine manière, aux prises avec un contexte.

3) Opérer un recadrage pour générer du changement

Laurence illustre cette idée par un exemple concret. Lors de l’audience, le juge a interpellé le père à propos d’une claque donnée à sa fille, présentée par le magistrat comme le franchissement  répréhensible d’une limite. Le père verbalise avoir été blessé d’être ainsi mis en faute. Laurence opère alors un recadrage : certes, un tel geste ne devrait pas avoir lieu, mais on peut s’interroger sur son sens. Ils élaborent ensemble quant à sa signification : le père exprime son sentiment d’impuissance face à son enfant, sa volonté de la protéger.

À partir de là, les parents de Myriam peuvent formuler un problème personnel, qui n’est pas celui du juge – le respect de la loi – mais bien celui de la famille. Ils cherchent à protéger leur enfant, mais leur façon de faire est inadéquate. Il faut trouver comment veiller sur leur fille sans la malmener, afin d’amorcer un changement.

Pour envisager de nouvelles pistes, Laurence se réfère au contexte qui a généré l’émergence du problème. Le contrôle dont souffre Myriam s’est mis en place par manque de confiance. Laurence et la famille de la jeune fille vont donc devoir travailler, d’un côté, à responsabiliser Myriam ; qu’elle montre à ses parents qu’elle est capable de se gérer seule et d’être à l’écoute de son corps quant à son diabète. La confiance des parents ainsi restaurée, ceux-ci doivent s’engager à ne plus s’immiscer de manière excessive dans la vie de leur fille.

À la suite de ce double engagement, Myriam a décidé de rentrer chez ses parents. Un accompagnement sera mis en place pour consolider cette nouvelle posture éducative.

La prescription du symptôme

Laurence nous propose ensuite la lecture d’une séquence interactionnelle entre une mère et sa fille. Cette vignette clinique illustre le fonctionnement d’un outil systémique : la prescription du symptôme. Cette technique consiste à demander à une personne de faire ce qu’on ne veut pas qu’elle fasse – entrons au cœur de la situation pour mieux comprendre.

1) Identifier une séquence interactionnelle

Virginie s’inquiète pour sa fille de 16 ans, Chloé. Au moment de se coucher, cette dernière n’arrive pas à se défaire de son téléphone portable. Elle accepte de le laisser dans le salon, mais se lève une fois la famille endormie et consulte ses réseaux sociaux jusqu’à 3 ou 4h du matin. En conséquence, elle a du mal à se lever, manque son bus et ses premiers cours au lycée. Virginie redoute le décrochage scolaire de sa fille, d’autant que Chloé accepte de moins en moins d’éteindre son téléphone le soir. Cela donne lieu à des scènes terribles : Chloé hurle, tape sur les portes et les murs… Les voisins soupçonnent la famille de maltraitance, appellent la police et le 119[1]. Alors, de peur d’être accusée, la mère finit par abandonner. Mais plus elle cède et plus Chloé prend le pouvoir. Quand Virginie lui demande d’aller se coucher, elle frappe et crie de plus en plus fort.

Laurence écoute le récit de Virginie et lui donne à voir la boucle interactionnelle dont elle et sa fille sont prisonnières. Parce que la peur de Virginie prend le dessus, elle ne peut pas assurer son rôle éducatif comme elle le souhaite. Laurence l’engage à se libérer de cette peur — après l’avoir rassurée, bien sûr. Elle reconnaît, en tant que professionnelle, que Virginie ne maltraite pas sa fille. Assurée de son soutien, la mère va pouvoir adopter un autre comportement.

2) Comprendre en expérimentant

Laurence conseille à Virginie d’expérimenter avec Chloé la prescription de son symptôme. Elle lui propose d’encourager sa fille lors de leur prochaine dispute : « Vas-y, crie un bon coup ! » ; à condition que la mère soit certaine qu’elle ne capitulera pas. Virginie n’ose pas aller jusque là, alors Laurence lui propose autre chose. Elle sait que Chloé menace sa mère d’appeler les services sociaux pour se dire maltraitée. Elle assure donc Virginie de son soutien et l’engage à faire téléphoner Chloé si besoin.

C’est cette option que choisit la mère. Une fois Chloé en crise et menaçante, elle lui tend son téléphone : « Tu veux appeler l’assistante sociale ? Je t’en prie, je compose son numéro ». Abasourdie, Chloé se calme immédiatement — car si elle se plaît à faire chanter sa mère, elle n’irait pas jusqu’à mentir aux services sociaux.

Cette technique a donc permis à Virginie de retrouver du pouvoir d’agir. Elle a pu expérimenter ce que Laurence lui avait nommé : si Virginie n’a plus peur, sa fille n’a plus prise. En éprouvant les limites du système qui génère le problème, Virginie a compris qu’elle pouvait être actrice du changement.

Métacommuniquer pour sortir d’une impasse dans la relation

Ce dernier exemple se focalise sur la première rencontre entre l’intervenant systémicien et la personne accompagnée. Il montre que la posture du professionnel peut en elle-même générer du changement chez l’autre.

1) Le respect inconditionnel de la posture de l’autre

Laurence reçoit un couple de très jeunes parents, Anna, 18 ans, et Jérôme, 20 ans. Tous les deux sont d’anciens enfants placés ayant subies des maltraitances sévères. Ils ont un petit garçon âgé de 2 ans et demi. Depuis le début de la mesure, Anna est présente aux rendez-vous et se montre coopérante. Hébergée en centre maternel avec son fils, elle veut sortir de cette situation de placement. Jérôme, lui, est dans l’évitement, mais Anna finit par réussir à le faire venir avec elle. Alors qu’elle doit s’absenter pour récupérer son fils, Jérôme se retrouve seul avec Laurence… et refuse de parler. Nous reconstituons leurs premiers échanges :

Laurence — Comment vous appelez-vous ?

Jérôme — J’ai rien à dire.

Laurence — Vous êtes venu, pourtant. Pourquoi êtes-vous là ?

Jérôme — J’ai rien à dire.

Laurence — Vous êtes venu parce que votre compagne vous l’a demandé ? 

Jérôme — Oui.

Laurence — Pour lui faire plaisir ?

Jérôme — Oui.

Devant l’attitude fermée de Jérôme, Laurence s’engage dans un véritable travail de proposition qui implique un respect inconditionnel de la posture du jeune homme. Il ne s’agit pas de l’attaquer ou de lui reprocher de vouloir se taire, mais d’aller au-delà de ce « j’ai rien à dire ».

2) Vers de nouvelles pistes d’accompagnement grâce à la métacommunication

Peu à peu, ils en viennent à métacommuniquer, c’est-à-dire à communiquer sur la façon dont ils communiquent. C’est Jérôme lui-même qui donne la clef à Laurence. Il lui explique être arrivé en retard à l’audience avec le juge et s’être fait écarté par celui-ci. Lorsque Jérôme a voulu prendre la parole, le magistrat lui a répondu « de toute façon, je ne vous écouterai pas ». Laurence comprend pourquoi Jérôme est aussi réticent à s’exprimer s’il sait que ce qu’il dira ne sera pas entendu.

Elle ne remet toujours pas en cause la posture de Jérôme — au contraire, elle cherche comme faire avec. L’enjeu, propose-t-elle, pourrait être de trouver comment dire quelque chose au juge sans avoir à le lui dire. Laurence se place alors comme personne ressource, comme médiatrice. Puisqu’elle prendra la parole à l’audience, elle peut porter son message. Mais cela impliquerait qu’il le lui partage pendant leurs rendez-vous.

« Je vais y réfléchir », conclut Jérôme avant de partir. Laurence espère avoir ouvert la voie à l’émergence d’une demande.

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À travers cet article et, plus globalement, à travers notre série de portraits, nous espérons vous avoir montré l’incroyable potentiel de la systémie dans l’intervention sociale. Nous croyons que l’approche systémique peut contribuer à apaiser les relations humaines et nous sommes heureux de contribuer à sa diffusion, par nos textes et par le parcours de formation « Approche systémique et Stratégie » proposé par Epsilon Melia.

* Les noms des personnes accompagnées ont été changés.


[1] Le 119 est le Service National d’Accueil Téléphonique de l’Enfance en Danger. C’est à la suite de cet appel qu’une mesure d’investigation a été ordonnée pour la famille de Virginie et Chloé.

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