Interview presque imaginaire : de notre collègue Dominique TOUCHARD !

Nous devons cet interview imaginaire à notre collègue Dominique Touchard. Nous retrouvons là toute la subtilité et la délicatesse de Dominique. Il n’est pas étonnant qu’il obtenait l’adhésion et l’implication des très nombreuses équipes auprès desquelles il intervenait en tant qu’animateur d’Analyse des Pratiques. Si je parle au passé, c’est que Dominique est confronté à une maladie qui le contraint à suspendre son activité. Outre d’affronter cette épreuve, je m’autorise à divulguer qu’il vit très difficilement d’être éloigné du terrain. Son job, c’est l’une de ses grandes passions ! Il en a une autre, celle de piloter des avions. Nous devons avouer qu’il manque à l’équipe d’Epsilon Mélia, sa solidité et, égoïstement, ses compétences nous étaient précieuses. C’est le cœur léger que nous lui confions des missions ! Pour le dire prosaïquement : « On sait que ça va le faire ! » – et cela indépendamment des contextes auxquels il est confronté. Les compétences alliées au respect et la tendresse à l’égard des personnes que l’on accompagne a pour effet de produite des miracles ! Ce que nous suggère ton texte c’est que de la désirance vaincra !

Lorsque Dominique nous a proposé cet Interview presque imaginaire !, nous lui avons demandé de faire un petit texte de présentation de sa démarche. Dès le lendemain, il nous l’a fait parvenir. C’était à nouveau un cadeau ! Dominique ne s’est pas formé à Epsilon Mélia, et pourtant… Ce texte exprime avec tellement de justesse ce que nous défendons. Nous pourrions nous l’approprier, le signer des deux mains.

EW

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Ma démarche :

Elle repose sur l’idée d’aborder, de façon ludique, les représentations qui permettent de produire du recadrage perceptuel, de s’autoriser à utiliser les émotions émergentes, pour ainsi devenir un praticien réflexif. C’est la condition pour que soit réactivé une pensée moribonde, et libérer une parole entravée. Nous nous devons de tendre à la co- construction. Finalement, il s’agit de partage d’expérience, de faire suffisamment alliance avec les groupes, après un sécurité ontologique nécessaire ! Nous sommes convoqués à nous appuyer sur la compétence groupale et à fortiori être en position basse… Pas simple, la tentation est grande de confisquer la parole, lors des assourdissants silences ( oxymore à la Boris Cyrulnik ).

Interview presque imaginaire !

Boris Cyrulnik est psychiatre, neurologue et éthologue. Directeur d’enseignement à l’université de Toulon. Il est l’auteur d’une bibliographie foisonnante.

Mony El Kaim est neuropsychiatre, thérapeute familial. Figure européenne et chef de file du mouvement antipsychiatrique en Europe dès 1970.

Dominique Touchard, éducateur spécialisé, ancien cadre de Direction en Protection de l’Enfance, formateur, systémicien, animateur de GAPs ( Grouper d’Analyse des Pratiques ) et de supervision. Et pilote privé, titulaire du certificat d’aptitude à l’enseignement aéronautique.

J’ai rencontré Mony El Kaim au centre Monceaux à Paris lors de ma formation en thérapie familiale dans les années 2000. Un personnage charismatique, une présence forte à la Raymond Devos, option Marrakech. Plus méditerranéen que Belge, contrairement à l’humoriste. Avec une fulgurance créative. Un artiste ! Disparu, trop tôt, fin 2020.

Quand à Boris Cyrulnik, il est pour moi un compagnon de voyage intellectuel, à travers l’ensemble de ses ouvrages et ses fascinants colloques.

Éléments contextuels :

Lieux de rencontres Paris-Nord à équidistance de Bruxelles où exerce Mony El Kaim, et Toulon, lieu d’exercice universitaire, de vie, de Boris Cyrulnik.

L’idée de cette interview est née de la lecture d’un des articles de Boris Cyrulnik sur
« l’effraction psychique », que constituait la crise pandémique du COVID-19 au sein des équipes pluridisciplinaires que j’accompagnais dans le cadre de supervisions ou d’analyse de pratiques dans les différents établissements médico-sociaux.
Les praticiens étaient paralysés dans leur action et les usagers développaient de graves troubles anxieux. Le mal-être était omniprésent.

Mony El Kaim (M.K) ( Sur un air curieux, Mony interroge avec une légère espièglerie ) : Qu’entends-tu par effraction psychique que tu énonces en début de notre échange ?

Boris Cyrulnick (B.C) : Le confinement correspond à une situation d’agression psychologique, et les plus vulnérables n’ont pas pu surmonter l’épreuve (…). En revanche, les personnes accompagnées ont trouvé des supports de résilience en institution. Ces dernières ont eu la possibilité de surmonter ces situations d’effraction éminemment contagieuses. Des traces indélébiles sont constitutives de véritables traumatismes, bien repérés désormais chez l’ensemble des cliniciens ».

Dominique Touchard (D.T) : Oui, si je comprends bien, les éducateurs se sont transformés en tuteurs de résilience. Cela a émergé grâce à leurs ressources internes, une dose de résonance affective suffisante, une subtile résonance. Les intervenants parlent d’intelligence émotionnelle, ils sont émus par des sentiments ou des thèmes, qui les saisis, où retentissent.

M.E ( Avec curiosité, Mony m’interpelle, Je me dois de préciser quelque chose… ) : L’analyse de ces subtiles résonances ne s’impose que s’il y a blocage. C’est ce que j’ai constaté lors des supervisions d’équipe.

D.T : Une toilette implicationnelle pour les champions ou les surdoués de la résonance en quelque sorte !

M.E : J’aime bien cette notion de toilette implicationnelle, c’est parlant à l’ensemble des intervenants …mieux que contre-transfert, même si il y a un lien de voisinage.

B.C : Cette approche est assez large et ouvre des possibilités pour les coachs, les animateurs d’équipes dans des systèmes d’actions assez variés. On fait quelque chose des émotions qui émergent. Il s’agit d’une information très utile pour les accompagnants.

M.E : Effectivement, comme tu dis, ça va bien au-delà de l’action des psychothérapeutes et mobilise des ressources individuelles/collectives, ou renforce la professionnalité dans les organisations institutionnelles. Les psychothérapeutes parlent plutôt d’éprouvé en séance, qui indique quelque chose sur le fonctionnement du système familial. Une information analogique.

D.T : Entre résonance et résilience, les émotions s’accordent. Que pensez-vous de cette proposition ?

B.C : En effet, il y’a une belle assonance poétique entre les deux mots, le concept de résilience est apparu en France il y a une dizaine d’année. Au début, il a créé une polémique au sein du « peuple psy ». Aujourd’hui le terme a acquis une pleine légitimité et il est utilisé dans différents champs, voire même un peu « galvaudé ». Mais notre propos est de réaffirmer que le résilient doit faire appel aux ressources internes, ou potentialité de la personne, voire de la planète, comme on dit en écologie ».

M.E : Je reconnais la dimension poétique de tes propos et la volonté de construire à travers le récit une théorie de « l’anti-destin ». Il y a une cohérence dans le diptyque émotionnel :
« résilience/résonance et effraction psychique ».

B.C : Mon cher Mony, comment peux-tu illustrer le terme de résonance ?

M.E : C’est tout simplement l’écoute des émotions dans l’action de l’intervenant, qu’il soit animateur, éducateur ou thérapeute. Nous pourrions le traduire par l’intelligence émotionnelle. Dans le cadre thérapeutique, ce que nous vivons a une utilité pour l’autre. C’est l’écho qui vient à la rencontre du système de pensée, ou la représentation avec l’histoire personnelle du thérapeute. « Je suis parce que je suis ému et parce que tu le sais ». Pour résumer : c’est une implication émotionnelle.

D.T : Là aussi, une auto supervision ou inter-vision semble s’avérer nécessaire entre pairs ?! Votre confrère psychiatre, ancien formateur au centre Monceau, que j’ai croisé et continue à lire assidûment, a théorisé que face à la difficulté de trouver un superviseur à sa convenance, tout en respectant l’obligation déontologique,il y la voie de l’auto supervision.

B.C : Pour les neurosciences, nos croyances anxiogènes fabriquent notre mal être. Et pour rejoindre Mony, sans alliance, pas de travail éducatif ou thérapeutique possible, pour un récit co-construit résilient. J’ai développé largement cette dernière notion dans mes ouvrages. Voltaire, inspiré des philosophes de l’antiquité, nous laissait entendre à travers son personnage Candide que nous devons cultiver notre jardin intérieur. À ma connaissance, les psychothérapeutes ont bien compris et prescrivent des tâches dites systémiques à leurs patients, dans l’objectif de mettre fin à la rumination mentale. Ils sont inscrits dans une forme d’action salvatrice.

M.E ( Un peu surpris, Mony réagit légèrement excité! ) : C’est incroyable, je t’embauche à l’institut de la Famille d’étude de la Famille et des systèmes humains, chez moi à Bruxelles. Pour ponctuer provisoirement notre échange, je te confie amicalement que j’aime ton approche qui relie la pensée et dresse des ponts interdisciplinaires, et tient compte des recherches actuelles en sciences humaines. Ton immense culture littéraire et philosophique m’impressionne toujours … Les neurosciences doivent nourrir notre démarche bien sûr, comme tu l’ajoutes plus haut. Mon ami, ne pourrions-nous pas trouver un prolongement à ce si bel échange ? Une contribution inter-universitaire à l’éthologie humaine, sous la forme d’un écrit collectif dans un premier temps au sein de Pratique de Réseaux, puis d’un colloque, comme tu les aimes, n’est-ce pas ? »

B.C ( Aimablement et avec douceur ) : C’est une excellente idée !
( Non sans sur un ton un peu provocateur et qui devrait émoustiller l’égo méditerranéen de son complice ) : De plus, ton talent scénique n’est plus à démontrer !

D.T ( Souriant ) : Quel bonheur de vous avoir reçu ensemble, d’avoir partagé votre réflexion, je suis très honoré et touché, je dois être très résonnant… D’autant plus que cet interview avait été différé de multiple fois, en raison du méta-contexte (Pandémie, crise climatique) et des triviales contingences matérielles … Nous sommes parvenus à caler nos agendas professionnels… Je souscris à votre projet d’un prolongement possible, ce serait merveilleux…

Et vous témoigne pleinement de ma gratitude.
Les gens de culture dont vous faites partis sont de véritables humanistes pétris d’une extrême bienveillance.
Et je vous en remercie chaleureusement !
En bon systémicien, je me dois de remercier également les professionnels, formidables tuteurs de résilience que j’ai accompagné dans le cadre des GAP, les actions de formation pour leur confiance qu’ils m’ont accordée.
Enfin EPSILON MELIA sans lequel ces actions n’auraient pas pu être mises en œuvre auprès de ces équipes. Cette interaction est à l’instigation de cette démarche réflexive »

Villers St PAUL, Le 30 aout 2022.

Dominique Touchard

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