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La prostitution des mineurs : le cas des MECS

Les professionnels de la protection de l’enfance sont de plus en plus confrontés à la prostitution des mineurs qu’ils accompagnent dans les institutions. C’est notamment le cas dans les MECS (maisons d’enfants à caractère social). Ce phénomène tend malheureusement à s’aggraver du fait des outils numériques mis à disposition des jeunes. 

Les travailleurs sociaux ne sont pas toujours suffisamment formés pour en repérer les signes et adapter leurs accompagnements. C’est pourquoi la formation reste l’outil majeur qui peut leur permettre de détecter les comportements des mineurs en situation de prostitution, et de mettre en place une stratégie d’accompagnement.  

Quels sont les signes qui peuvent aider un éducateur à repérer un mineur victime de prostitution ?

Les adolescents victimes de prostitution dans les MECS sont souvent des jeunes filles d’environ 13 ou 14 ans, mais les garçons sont également touchés. Les éducateurs spécialisés peuvent repérer des symptômes qui pourraient indiquer qu’un jeune se prostitue. 

Des fugues régulières

Parfois, des jeunes filles s’absentent plusieurs heures, voire quelques jours, mais ne donnent pas leur véritable destination aux éducateurs spécialisés. La fugue représente un fort risque de dérive vers la prostitution.

Des blessures physiques

Griffures, hématomes, cicatrices, etc. Des marques d’automutilation peuvent également alerter. Il se peut que l’adolescent tente de cacher toutes ces blessures (foulard en permanence autour du cou, port de manches longues même en cas de fortes chaleurs, etc.).

Une ou plusieurs addictions

Les mineures prennent des substances nocives volontairement (drogue, alcool, etc.) ou sont victimes d’intoxications entretenues de la part de tiers (proxénètes, clients, par exemple). Paradoxalement, le risque addictif et le risque prostitutionnel fonctionnent sur une même logique, celle d’avoir le contrôle. Tandis qu’une relation d’emprise s’installe insidieusement jusqu’à la dépendance psychique et/ou physique.

Des changements concernant l’hygiène

La jeune fille peut cesser de prendre soin de son corps ou au contraire se laver très fréquemment dans la journée.

Une évolution du comportement et du langage 

Langage vulgaire, troubles du comportement (phobies, troubles des conduites alimentaires, violence, etc.). L’adolescent peut également aborder la sexualité de façon crue.

Une utilisation excessive du portable

Des échanges intensifs sur les réseaux sociaux avec des personnes inconnues, des SMS fréquents, peuvent alerter les éducateurs spécialisés sur une possible prostitution du mineur.

Le demande de se faire dépister

Une jeune fille peut demander à réaliser un test de grossesse, une IVG (interruption volontaire de grossesse), ou à vérifier qu’elle n’est pas porteuse d’une maladie sexuellement transmissible.

Des problèmes concernant la scolarité

Des soucis dans les apprentissages peuvent survenir, un décrochage scolaire, voire une déscolarisation, etc.

Une évolution du code vestimentaire

La jeune fille peut s’habiller de façon très attirante ou au contraire négliger sa tenue.

Des cadeaux ou sommes d’argent dont la provenance est inexpliquée

Pour un temps, ces jeunes filles qui souffrent de carence affective ont le sentiment d’être des princesses en recevant des cadeaux. Les éducateurs se sentent parfois impuissants face à ces processus. Quand les victimes reçoivent des avantages matériels, on parle de michetonnage, car la relation est alors plus ambiguë. Le cadeau que reçoit la jeune fille peut lui laisser penser que le client est attaché à elle, et qu’en retour elle lui doit de la reconnaissance. À noter que le michetonnage, appelé aussi pigeonnage, peut être une conduite pré-prostitutionnelle si les relations sexuelles n’ont pas encore eu lieu. Parfois, quand les travailleurs sociaux évoquent le mot prostitution auprès des mineures, cela casse le lien et la confiance car elles n’ont pas l’impression de s’adonner à cette pratique.

Quelles sont les causes qui peuvent conduire un mineur à la prostitution ?

Plusieurs facteurs peuvent conduire un mineur à se prostituer. Notons que certaines jeunes filles commencent à se prostituer seules, les réseaux arrivant souvent après. Généralement, ces réseaux de prostitution sont très restreints, les personnes sont jeunes, mobiles, et changent souvent. D’où la difficulté pour la police de les démanteler. Les gros réseaux à l’ancienne (traite des êtres humains) sont plus rares de nos jours et souvent étrangers. Ils ne concernent pas les mineures relevant de la protection de l’enfance, mais les jeunes filles ou femmes étrangères (pays de l’Est, Asie, Nigéria).

Des relations d’emprise

Souvent, la prostitution d’une mineure fait suite à une relation amoureuse d’emprise avec un garçon (que l’on appelle loverboy), qui fait semblant de procurer de la sécurité et de l’amour à la jeune fille, et lui demande de passer à l’acte pour lui. Cela peut également résulter d’une amitié avec une autre fille qui va la convaincre de devenir escort-girl en lui assurant qu’il s’agit d’un métier facile et très bien rémunéré.

L’argent

L’argent fait partie des motivations principales des jeunes. Cela renvoie aux notions d’indépendance, de financement personnel de ses besoins, d’autonomie vis-à-vis des adultes, de réussite sociale auprès des pairs.

Un passé douloureux

Souvent, les mineurs qui sont accueillis dans les MECS ont été témoins de violences conjugales ou victimes de maltraitance (abus sexuels, violences physiques), de négligences ou de carences affectives. Les parents peuvent souffrir de troubles psychiques ou d’addiction. Cette souffrance vécue au sein de la famille peut être un élément déclencheur. Les jeunes filles considèrent alors qu’elles n’ont aucune valeur aux yeux des autres, souffrent de carence affective, et choisissent de devenir un objet moyennant de l’argent. 

Un problème de santé mentale

Les jeunes ayant vécu dans un environnement familial défaillant peuvent développer des troubles psychiatriques (dépression, troubles bipolaires, etc.). Il peut y avoir également une perte totale de l’estime de soi, qui rend ainsi plus vulnérable aux situations d’emprise (amoureuses ou amicales). Tous ces éléments peuvent amener à des conduites à risque (addictions, comportements sexuels dangereux, etc.).

Des soucis relationnels

Le jeune s’isole, ne parvient pas à tisser de lien social, s’investit dans des relations toxiques, cherche le conflit, etc.

Un impact médiatique fort

L’adolescent vulnérable est victime d’Internet : les réseaux sociaux mettent en avant la pornographie comme étant le moyen d’avoir de l’argent facilement. Ils montrent l’exemple d’escort-girls qui gagnent de grosses sommes d’argent rapidement en échange de services sexuels, ce qui en donne une image édulcorée. Les photos de femmes nues sont nombreuses sur ces réseaux, ce qui laisse croire aux filles que c’est un phénomène normal. L’utilisation du corps apparaît ainsi comme le moyen d’être reconnue, d’avoir de l’importance.

L’adolescent apprend sa sexualité en regardant des films de porno, et n’a pas conscience que cela ne reflète pas la réalité. Ces images pornographiques banalisent la violence sexuelle et instrumentalisent le corps de la femme.

Le cyberharcèlement est également très présent, tout comme les rencontres néfastes et dangereuses via ces réseaux. 

Nous assistons à une sexualisation dans tous les domaines (dans les clips, par exemple), où tout est à portée de main. Les jeunes ont tendance à se tourner vers des images toujours plus choquantes. Il n’y a donc plus de fossé entre les médias et la pornographie.

La pratique du recrutement à l’intérieur des institutions

Certaines jeunes filles résidant dans les MECS peuvent recruter d’autres mineures en interne pour réduire les souffrances qu’elles subissent au sein de leur réseau. Les proxénètes leur font alors croire qu’elles ont un rôle important à jouer, et elles comptent sur un peu plus d’indulgence de leur part. C’est une façon pour elles de se protéger ou de gagner de l’argent.

Quelles sont les conséquences de la prostitution chez les mineurs ?

La prostitution a des conséquences très graves sur les jeunes, qu’elles soient physiques ou mentales.

Une santé physique dégradée

Cela peut se manifester de plusieurs façons :

  • des maladies sexuellement transmissibles et autres troubles gynécologiques ;
  • des grossesses accidentelles. Cela a bien souvent des effets dévastateurs à la fois sur la victime et son futur bébé, qui risque d’être abandonné à la naissance ou maltraité par la maman du fait du traumatisme qu’elle a subi ;
  • des affections diverses comme des allergies, eczéma, etc.

Des troubles psychiques importants

Troubles alimentaires, phobies, troubles obsessionnels compulsifs (TOC), dépressions graves, syndromes post-traumatiques (notamment des états dissociatifs), etc. La santé mentale n’est pas épargnée. Les mineurs peuvent avoir été manipulés psychologiquement, menacés, violentés par des clients ou proxénètes.

Même si l’adolescent cesse de se prostituer, il garde des séquelles sur le long terme. Les troubles ne cessent pas par enchantement, c’est pourquoi quand il s’agit de mineurs, le parcours de sortie de la prostitution est très complexe. Les problèmes psychiques sont souvent encore plus longs à soigner et empêchent le jeune de se reconstruire. Les rechutes sont également fréquentes. Afin qu’ils puissent obtenir un accompagnement prolongé, les jeunes peuvent bénéficier de contrats jeunes majeurs si le département en accepte la demande. Mais la loi  n’interdit pas la prostitution des femmes en France, ce qui représente une importante difficulté quand les éducateurs spécialisés travaillent avec des jeunes presque majeurs. C’est le client qui peut être pénalisé, car c’est le modèle abolitionniste qui est en vigueur en France.

Comment un travailleur social peut-il aider une jeune victime d’exploitation sexuelle ?

Il y a plusieurs façons de venir en aide à un jeune :

En adaptant sa posture d’écoute

Les professionnels doivent faire un travail sur leurs propres représentations, ainsi que sur leur écoute. En gagnant la confiance du mineur victime de prostitution et en créant du lien avec lui, ce dernier aura plus tendance à saisir le professionnel en cas de besoin.

En lui faisant prendre conscience du danger

De nombreuses jeunes filles n’ont pas conscience que leur pratique est dangereuse. De plus, elles viennent rarement chercher de l’aide auprès des professionnels. C’est pourquoi dès le repérage des signes, la victime peut être accompagnée psychologiquement afin qu’elle puisse prendre conscience de la raison pour laquelle elle se met en danger en acceptant de se prostituer. Mais si le jeune n’adhère pas, et c’est souvent le cas, cela ne changera pas ses pratiques, et il risque de fuir.

En la mettant en sécurité

La loi du 4 mars 2002 relative à l’autorité parentale stipule que « la prostitution des mineurs est interdite sur tout le territoire de la République. Tout mineur qui se livre à la prostitution, même occasionnellement, est réputé en danger et relève de la protection du juge des enfants au titre de la procédure d’assistance éducative. »

La loi indique également que les professionnels qui constatent qu’un mineur est victime de prostitution ont le devoir de transmettre un signalement ou une information préoccupante. Le secret professionnel ne s’applique donc pas. C’est cette alerte qui permet de lui offrir la protection dont il a besoin.

Le signalement doit être effectué auprès de la cellule de recueil des informations préoccupantes (Crip) du département concerné. Mais si le professionnel considère qu’il y a urgence, il peut s’adresser aux services de police ou au procureur de la République.

Une fois que les faits ont été signalés, le juge des enfants en est informé.

En lui permettant de se reconstruire physiquement et mentalement

La notion de soin est ici très importante : il faut prendre en charge les divers traumatismes, les addictions, les éventuelles infections sexuellement transmissibles (IST), etc. Il faut l’aider à construire un projet de vie avec une vie sexuelle basée sur le respect mutuel. De nombreux mineurs craignent de ne pas pouvoir faire autre chose de leur vie, car ils ont honte, ont été marginalisés.

En travaillant en partenariat

Les professionnels doivent travailler ensemble s’ils veulent pouvoir protéger l’adolescent au plus vite. Pour lutter efficacement contre la prostitution, les différentes actions doivent être coordonnées. Parfois, certains intervenants sont gênés par rapport au thème de la sexualité. Il est donc important de trouver les personnes qui sont à l’aise avec ces questions, et pourront mettre le jeune en confiance. 

Le travail avec les familles est également très important (quand les parents s’impliquent un minimum auprès de leur enfant).

Quelles sont les principales difficultés rencontrées par les éducateurs spécialisés quand un jeune se prostitue ?

Les fugues nuisent à l’établissement d’une relation 

Les fugues fréquentes des jeunes sont un frein au tissage de liens avec les professionnels. De ce fait, il y a peu de moments consacrés à l’écoute et à la construction d’un projet de vie pour le mineur. 

La confiance est difficile à acquérir

La confiance est compliquée à établir auprès de ces jeunes, car ils ont toujours vécu dans la méfiance de l’autre au regard de leur passé complexe. Certaines jeunes filles ont peur du jugement des éducateurs et d’être sanctionnées, c’est pourquoi elles font le choix de se taire. Les propos du professionnel peuvent également leur apparaître comme trop moralisateurs, ce qui peut conduire le jeune à refuser tout échange.

L’adolescente qui se prostitue réfute l’image de victime

La plupart du temps, les mineures n’ont pas l’impression d’être des victimes, ni d’être en danger. Parfois, elles n’ont même pas le sentiment de se prostituer. Elles ont l’impression que cette situation est normale. Dans ce cas, elles refusent d’être protégées, et les éducateurs se sentent désemparés car le lien se rompt progressivement.

De plus, certaines jeunes filles ne sont pas prêtes à entendre le mot prostitution, car cela ne fait pas partie de leurs codes étant donné qu’elles parlent plutôt d’escort-girls. Elles peuvent être également dans le déni. Les professionnels doivent donc adapter leur écoute et leur posture pour éviter de casser le lien et la confiance. 

Les représailles sont nombreuses

Les professionnels doivent aussi gérer les menaces de vengeance exercées par les réseaux de proxénètes sur les mineurs. 

Les travailleurs sociaux sont victimes d’épuisement professionnel

À tout cela peut s’ajouter l’épuisement physique et émotionnel lié à la difficulté de faire protéger ces jeunes (manque de ressources, peu de retours des services de police, sentiment d’impuissance, etc.).

Comment les professionnels du secteur social et médico-social peuvent-ils prévenir la prostitution des mineurs ?

En abordant la sexualité en institution

La communication éducateur-enfant a un rôle essentiel dans le développement sexuel du jeune, dans son rapport à son corps et à celui des autres. Il est donc nécessaire d’apporter des espaces d’échanges et d’élaboration aux mineurs afin qu’ils puissent aborder leurs questions et leurs préoccupations tout en leur donnant des repères pour construire leur sexualité et leur rapport à l’autre.

L’objectif est donc de les aider à exercer leur esprit critique et à aborder leurs questionnements.

En se formant efficacement à la problématique de la prostitution des mineurs

Les professionnels du secteur social et médico-social ne sont pas toujours suffisamment formés pour repérer les signaux d’alerte et trouver la bonne méthode à adopter face à un mineur victime de prostitution. Il s’agit de missions très éprouvantes, car ils sont confrontés à des situations très dures. C’est également un travail long, car suite au signalement, un accompagnement prolongé doit se mettre en place. 

Chez Epsilon Melia, nous avons créé une formation sur 2 jours pour les aider à comprendre et accompagner au mieux les jeunes victimes de prostitution. 

L’objectif est de leur donner des ressources leur permettant de mieux comprendre les comportements liés à la prostitution, d’obtenir des outils de repérage et de prévention, et de maîtriser la législation afin d’agir face à un mineur en danger. 

Epsilon Melia est un organisme de formation continue destiné aux professionnels du secteur social et médico-social. Cela fait plus de 15 ans que nous les accompagnons pour les aider à acquérir de nouveaux savoirs afin qu’ils ne se sentent plus démunis face à une situation complexe. Vous souhaitez avoir plus d’informations sur notre formation sur la prostitution des mineurs ? N’hésitez pas à nous contacter.

 

Nous remercions Stéphanie Grelin, formatrice chez Epsilon Melia, ainsi que Jean-Marc Campiutti, psychologue, pour les précieuses informations qu’ils nous ont fournies pour la rédaction de cet article.