« Se rendre disponible pour la rencontre » Stéphanie TODARO – Chef de service en MJIE

Pouvez-vous nous présenter votre métier et raconter le parcours qui vous y a conduit?

 

Je suis chef de service en MJIE (Mesures Judiciaires d’Investigation et d’Evaluation) dans une association à Paris.

Quand je suis arrivée dans l’éducation spécialisée, je n’avais aucune expérience. J’ai eu la chance que l’EFPP (Ecole de Formation Psycho Pédagogique) comprenne ma motivation et m’intègre.

J’ai obtenu mon diplôme d’éducatrice spécialisée en 1996, et j’ai travaillé à différents postes dans les domaines de l’insertion et de l’urgence, principalement pour les femmes victimes de violences conjugales. Rapidement, ce qui m’a intéressée c’était tout ce qui était en lien avec la protection de l’enfance, la prise en charge des enfants qui ont été confrontés aux violences.

Mon objectif de travail était de comprendre comment la violence s’instaure et se propage dans les cellules familiales, mais également comprendre comment la faire disparaître, puisque ce qui se passe dans les cellules familiales se répercute dans la société.

J’ai ensuite obtenu mon CAFERUIS (Certificat d’Aptitude aux Fonctions d’Encadrement et de Responsable d’Unité d’Intervention Sociale) ce qui m’a permis de passer à une fonction d’encadrement et de pouvoir faire bénéficier des équipes de mon expérience de travailleur social.

 

Pouvez-vous vous nous raconter la découverte de votre métier ?

 

Il y a d’abord eu la découverte du métier d’éducatrice spécialisée, puis de celui de chef de service : les deux se répondent, et sont complémentaires. Un éducateur spécialisé est amené à avoir une vision de la société très réaliste, et cette découverte m’a amenée au métier de chef de service.

Après quelques années en tant qu’éducatrice spécialisée, je me suis surprise à penser régulièrement aux choses que j’aimerais mettre en place si j’étais chef de service, notamment pour aider les équipes.

Aujourd’hui, mon expérience de travailleur social me sert tous les jours dans mon métier de chef de service : je suis au fait de ce que vit mon équipe d’un point de vue émotionnel, je recherche comment les soutenir, vers qui ils peuvent se diriger s’il y a un trop plein émotionnel…

Ces deux métiers m’ont appris sur moi-même, sur la professionnelle que j’ai envie d’être et sur les valeurs que j‘ai envie de défendre.   

 

Quelles sont les qualités requises pour pratiquer votre métier, et les points de vigilance ?

 

D’abord, il faut être à l’écoute de l’autre, comprendre exactement où il en est, être suffisamment disponible pour la rencontre pour que la relation humaine et la relation éducative se mettent en place.

Travailler sur soi-même au fil des expériences permet de se rendre disponible à la rencontre : j’ai pu le voir en centre d’urgence quand une femme arrive en pleine nuit en pyjama avec ses enfants. Même si on était prêt à rentrer chez soi, on se rend disponible pour accueillir et écouter.

La disponibilité à la rencontre c’est la particularité du travail social. Quand on a raté une rencontre, il faut être capable de se dire qu’on ne s’est pas rendu suffisamment disponible, et il faut accepter d’y revenir et travailler, trouver des solutions.

Cette disponibilité était déjà présente chez moi, mais en découvrant ces métiers j’ai découvert que je pouvais en faire quelque chose, je l’ai développé et affiné. La parole ne reste pas sans effet, et dans cette écoute l’autre se sent sujet, et il est reconnu comme possiblement acteur.

Il faut souligner également l’importance de connaître ses limites. Au fil du temps, on apprend à connaitre ce qu’on ne supporte pas, il est important d’accepter ses limites et quand on a le choix de ne pas se dire « j’y vais quand même ». Les personnes qui sont en face de nous ont parfois besoin qu’on assume de ne pas pouvoir. Sans vouloir être tout puissant, certains professionnels veulent « y aller quand même ». Quand j’étais travailleur social, je disais à mon chef de service quand je ne me sentais pas en capacité de gérer certaines mesures. C’est mieux pour la famille, pour les professionnels et pour le service car cela met en péril la réussite de la mission.

Enfin, je dirais qu’il ne faut pas rester isolé : c’est plus évident pour le travailleur social qui évolue dans une équipe et a la possibilité de toucher au collectif. Quand on est cadre on peut être très vite isolé, et avoir peu d’échanges avec la hiérarchie : depuis que j’ai commencé je suis vigilante à être toujours dans l’échange avec d’autres cadres sur ce que je vis, et ce que je ressens. Ils ont toujours des choses à me renvoyer, mêmes des choses anodines sous forme d’humour : c’est toujours bien d’avoir des regards extérieurs.

 

Pouvez-vous nous raconter votre quotidien ?

 

J’ai intégré l’association dans laquelle je suis depuis quelques mois. J’y encadre une équipe composée de travailleurs sociaux (éducateurs spécialisés et assistante sociale), de psychologues, d’une secrétaire.

Nous exerçons la mission demandée par le juge des enfants pour évaluer la situation / dynamique familiale suite, généralement, à une information préoccupante. Le but est de savoir s’il faut mettre une aide en place, s’il y a des partenaires en place avec la famille, et définir comment amoindrir ou faire disparaître le danger auquel l’enfant est exposé.

On se réunit régulièrement avec l’équipe pour parler des situations sur des temps formels, et d’autres plus informels. Mon objectif est de savoir si les professionnels ont assez de moyens pour exercer la mesure, et d’aider à mettre en lien avec les partenaires si besoin.

En fin de mesure, la directrice et moi-même signons le rapport qui est envoyé au tribunal pour enfants. C’est une pièce judiciaire que parents et enfants peuvent consulter. Puis il y a une audience à laquelle la famille et notre service sont convoqués ; à l’issue de laquelle le juge des enfants prend une décision.

C’est le référent qui se présente aux audiences, s’il est absent je peux le remplacer. J’essaie d’être vigilante aux situations qui peuvent représenter un risque : lourdeur psychologique, ou danger physique. Si on pressent que l’un des parents peut être violent, j’essaie d’être plus présente, d’autant plus si on demande un placement.

L’objectif c’est que les professionnels sentent qu’ils ne portent pas la situation seuls. Symboliquement ils doivent sentir qu’on porte la décision ensemble.

Ils suivent en moyenne 20 mesures par mois (une mesure dure 6 mois), l’attribution se fait en fonction de la place. Les rapports prennent du temps : il faut peser chaque mot, et les conséquences de ce qu’on écrit. J’essaie de faire en sorte qu’ils n’aient pas plusieurs rapports en même moment.

 

Pouvez-vous partager votre plus beau souvenir ?

 

Il y en a tellement que j’aurais du mal à choisir ! Je me souviens que lorsque je suis rentrée dans le social, je m’étais dit « Je ne ferai pas ça toute ma vie » : je voyais des professionnels d’un certain âge que je trouvais « abîmés », je pensais que c’était le métier qui leur faisait du mal.

J’ai beaucoup travaillé pour le rendre le plus humain possible pour les autres et pour moi. Quand je sens dans une institution qu’il y a trop de malveillance ou de la perversion je ne reste pas ! Et je privilégie, en particulier, les endroits où on peut faire de l’humour : c’est une bouffée d’air importante. Cela permet de prendre de la distance, de ne pas analyser tout ce qu’on fait, tout ce qu’on dit. C’est peut-être pour ça que je suis encore dans le social finalement : j’ai énormément de bons souvenirs en équipe.

C’est aussi grâce à tous les beaux moments vécus dans la rencontre. Quand j’étais travailleur social, je me disais régulièrement « On est là pour ces enfants-là ». Par exemple, j’ai été confrontée à une situation où un non-lieu a été prononcé pour des attouchements de la part du père. On a dû continuer l’AEMO – action éducative en milieu ouvert – et il y a eu un très beau travail avec la famille, les enfants. Comment peut-on grandir quand le père n’a pas respecté la limite corporelle, la loi et qu’il a, par ailleurs, reconnu les faits… ? Qu’est-ce qu’on peut faire pour que ces enfants soient plus tard des adultes le plus épanouis possible? Quand j’ai dit au revoir à ces enfants, je me suis dit que j’avais servi à quelque chose.

 

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