Éducation familiale : une autre définition de la famille

En février 2021, le film La Vraie Famille sensibilisait le public aux liens qui unissent les enfants placés et les familles qui les accueillent. Les spectateurs ont pu être touchés par le parcours d’Anna, assistante familiale, qui ne se résout pas à laisser partir le petit Simon lorsque son père biologique veut en récupérer la garde. 

Lorsque nous évoquons l’intrigue avec Sabine Debay, éducatrice familiale dans un village d’enfants SOS à Marly (59), elle s’exclame : « Ça sent le vécu ! ». Sabine se souvient de la première fratrie qu’elle a accueillie chez elle. Le cadet avait 2 ans ½, il avait été placé depuis tout petit en pouponnière puis chez une assistante familiale. Lorsque celle-ci avait dû le confier à Sabine, la séparation avait été très difficile : « c’était un arrache-cœur pour elle. Je lui ai dit qu’il était possible de maintenir le lien, en venant pour son anniversaire par exemple. Au début, elle m’a répondu que ce serait trop dur pour elle. Finalement, elle m’a rappelée quelques mois plus tard et est venue régulièrement, pour partager un repas ou une sortie avec nous. » 

Sabine travaille au village d’enfants depuis 35 ans. Nous avons souhaité échanger avec elle pour mieux comprendre les relations entre les enfants placés et les professionnels. Comment apprendre à vivre ensemble quand on est issus de parcours différents ? Qu’est-ce qui distingue l’éducateur du parent ? Que reste-t-il de la relation au départ de l’enfant ? Nous explorons plusieurs pistes de réponse.

Prendre le temps de construire la relation

Le temps de la rencontre n’est pas toujours facile. Lorsqu’une fratrie est confiée à Sabine, l’éducatrice et les enfants doivent faire face à plusieurs enjeux. 

Il faut d’abord trouver comment établir la relation. À leur arrivée, certains enfants sont en colère contre l’éducatrice, parce qu’elle représente pour eux l’institution qui les a contraints à quitter leurs parents. Ils peuvent rentrer dans des rapports de force et annoncer d’emblée : « je ne veux pas rester ». Autre difficulté ; les enfants accueillis souffrent parfois de troubles psychologiques qui exigent des aménagements particuliers au quotidien. En fait, plus largement, quand on n’a jamais vécu ensemble et qu’on ne se connaît pas, il est nécessaire de prendre un temps pour s’accorder et comprendre les besoins de chacun.

« Avec le temps, on s’adapte aux besoins des enfants et on invente un rythme de vie qui nous convient à tous », résume Sabine. Ce sont les moments partagés qui créent la relation. Le métier d’éducateur·rice consiste donc à donner de soi : de son attention, de son affection… Sabine met beaucoup d’énergie à créer un univers où les enfants se sentent bien, à la maison. « Quand ils nous contactent après leur départ, ils sont reconnaissants du temps qu’on leur a accordé. Pour jouer ensemble, faire des gâteaux à Noël… Toutes ces petites choses dont on ne se souvient parfois pas nous-même ! »

Découvrir SOS Villages d’enfants. L’association SOS Villages d’enfants accompagne des fratries dont la situation familiale nécessite leur placement. Les enfants sont accueillis par un·e éducateur·rice familial·e qui est présent·e au quotidien. Son rôle ? Leur permettre de grandir dans un climat de stabilité et leur donner les ressources nécessaires à leur autonomie.

Une « maman » ou une mère ?

En surmontant les difficultés de l’installation, les enfants trouvent leur place dans le foyer. Sabine les accompagne au quotidien : devoirs, repas communs, soirées film… L’éducatrice entoure les enfants de son affection. Elle les câline, les embrasse, les console quand cela est nécessaire. Elle échange avec eux sur les questions qui les tracassent. Elle fixent des limites aussi : pas de télé ou de jeu vidéo avant d’avoir fait ses devoirs et pris sa douche. « Mes règles sont strictes, mais ils y adhèrent », constate Sabine. 

Allier présence affective et compétences éducatives, n’est-ce pas précisément le rôle d’un papa ou d’une maman ? Il est difficile, en pratique, de différencier le statut de parent de celui d’éducateur. À ce sujet, Sabine nous raconte une anecdote :

Un jour, mon fils m’interpelle : « c’est vrai que tu n’es pas la maman de Pierre* ? » Je confirme, « non, c’est vrai, je ne suis pas sa maman ». Alors mon fils se tourne vers Pierre et déclare : « tu vois, je te l’avais bien dit : ce n’est pas ta maman, c’est ta mère ».

Que comprendre de cette étonnante distinction proposée par ce petit garçon ? Pour Sabine, il s’agit de maintenir une certaine distance : l’éducatrice définit clairement qu’il existe un espace où elle vit sans les enfants accueillis, celui de ses congés. « Quand je pars en repos, je ne veux pas d’enfants qui pleurent derrière la fenêtre. Je leur explique que je vais prendre du temps pour moi, et que l’adulte qui vient me remplacer a envie de passer du temps avec eux. À eux de s’en saisir et d’en profiter ! »

Sabine se positionne surtout comme une personne-ressource qui met à disposition des enfants les outils nécessaires à leur construction. Elle veut leur apprendre à se débrouiller par eux-mêmes – en travaillant à l’école, en gérant un budget… Elle les sécurise aussi sur le plan affectif : « J’ai vu des consœurs arriver dans le métier avec un certain manque affectif, qui attendaient de l’amour de la part de l’enfant. Mais la plupart du temps, l’enfant qui débarque ne veut pas nous donner d’amour : il le réserve pour sa famille. » La tendresse émerge progressivement, quand l’éducatrice s’est rendue disponible pour l’enfant et que le quotidien les a rapprochés. « Il faut d’abord donner », répète Sabine.

Des liens qui dureront toute la vie

Riche de 35 ans de pratique professionnelle, Sabine est toujours en relation avec la plupart des enfants qu’elle a accueillis. Ceux-ci restent souvent chez Sabine jusqu’à leur majorité, et avoir partagé tous ces moments de vie crée des liens solides. 

« Le premier garçon que j’ai accueilli à aujourd’hui 32 ans. Il est très proche de moi, m’offre un cadeau pour la fête des mères. » Une autre jeune femme, aujourd’hui maman, appelle Sabine dès qu’elle a une question à propos de ses enfants. « Je me suis aperçue que j’étais enregistrée comme Maman dans son téléphone… mais elle ne me l’a jamais dit. »

Cette jeune femme a un jour demandé à Sabine si elle accepterait de l’adopter. Sabine ne s’y est pas opposée mais, fidèle à ses principes, l’a engagée à faire toutes les démarches par elle-même. Elle l’a aussi interrogée sur le sens de sa demande, qu’elle soupçonnait d’être liée à un passage difficile (une rupture amoureuse) qui viendrait réveiller un désir d’appartenance. Sabine ajoute malicieusement : « d’ailleurs, depuis qu’elle a de nouveau rencontré quelqu’un, le dossier est en attente ! » Elle ne s’en formalise pas et ne semble pas miser sur une reconnaissance officielle : « cela ne change rien à notre relation, elle n’en est pas moins forte ».

Si le réalisateur Fabien Gorgeart veut interroger ce qu’est la vraie famille, Sabine ne réfléchit pas en ces termes. « Je crois que j’ai réussi à créer une grande famille » (nous soulignons), dit-elle pour conclure notre entretien.

*Les prénoms ont été modifiés.

Merci à Sabine Debay et à SOS Villages d’enfants pour ce partage.

Quelle est votre réaction ?
Étonnant
0
Intéressant
0
J'adore
0
J'aime
0
Je n'aime pas
0
Vous souhaitez commenter cet article ? Cliquez-ici

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée, il s'agit simplement de lutter contre le spam :)

← Revenir en haut