Refus de déconjugalisation de l’allocation aux adultes handicapés : déni d’autonomie, déni de démocratie.

déconjugalisation allocation adulte handicape

Créée en 1975, l’allocation aux adultes handicapés (AAH) avait pour but initial de fournir un revenu minimal et de favoriser l’autonomie des personnes en incapacité de travailler du fait de leur handicap. Sauf que le mode de calcul de cette prestation – qui décroît selon les revenus du conjoint – conduit le bénéficiaire à être dépendant de son époux·se. Pour garantir son droit à l’autonomie, les associations du handicap et un certain nombre de politiques ont donc décidé de porter un projet de loi pour la déconjugalisation de l’AAH. En vain pour le moment, puisque le gouvernement a usé du vote bloqué pour refuser le texte le 17 juin 2021, malgré son approbation en première lecture à l’Assemblée nationale et au Sénat.

Comment fonctionne aujourd’hui l’allocation aux adultes handicapés ?

L’allocation aux adultes handicapés (AAH) est une prestation sociale introduite par la loi du 30 juin 1975. Elle est versée par la Caisse d’allocations familiales (Caf) ou par la Mutualité sociale agricole (MSA) aux personnes atteintes d’un handicap. L’AAH peut être accordée, dans le cas général à partir de 20 ans, pour un taux d’incapacité de 80 % minimum, ou bien entre 50 et 79 % pour une personne subissant une « restriction substantielle et durable d’accès à un emploi ». Son montant maximum est de 903,60 euros, mais comme il s’agit d’une aide différentielle, elle décroît selon les autres ressources dont la personne dispose. Si le conjoint possède un revenu, celui-ci entre en ligne de compte pour le calcul de l’AAH. Ainsi, un bénéficiaire qui n’a pas d’autres revenus verra son allocation diminuer à partir de 1 016,55 euros de salaire net de son conjoint, jusqu’à s’annuler complètement au-delà de 2 271,55 euros. 

La conjugalisation de l’AAH, un entrave à l’autonomie du bénéficiaire

Le mode de calcul actuel de l’allocation aux adultes handicapés (AAH) est contraire à l’esprit de cette prestation, créée pour garantir l’autonomie financière des personnes handicapées. Elle renforce au contraire la dépendance vis-à-vis du conjoint. Avec le risque de se retrouver dans une position morale et sociale dramatique.

Imaginons Nadia, handicapée à 80 %, en incapacité de travailler. Au fil des années, son mari commence à mieux gagner sa vie, entraînant automatiquement la baisse de son allocation, jusqu’à la réduire à néant. Finalement, à 50 ans, elle se retrouve invalide à 80 %, sans travail et sans aucune allocation. La dépendance à son mari est totale. Ce dernier n’hésite d’ailleurs pas à lui reprocher le fait de ne pas ramener d’argent à la maison. Des violences verbales surviennent, et de plus en plus souvent physiques, surtout lorsqu’il a un peu bu. Elle aimerait le quitter mais sans ressources ni allocation, elle est contrainte de cohabiter avec lui pendant de longs mois. Comment payer une location pour échapper à son époux, si c’est à celui-ci qu’il faut demander de l’argent ? Cet exemple parmi tant d’autres illustre la situation intenable provoquée par la conjugalisation de l’AAH. 

Notons que les modalités d’attribution de l’AAH mettent aussi les enfants dans une posture délicate puisque la demi-part fiscale qu’ils représentent compte dans le calcul de l’allocation. Lorsque l’enfant atteint l’âge de 20 ans, cette part disparaît et le parent handicapé perd sa prestation. On sait bien pourtant que les jeunes de cet âge ont souvent encore besoin du soutien matériel de leurs parents…

La conjugalisation crée finalement une double dépendance : celle du handicap et celle des ressources du foyer

Individualiser l’AAH pour sortir d’une logique comptable

Le calcul de la prestation sociale répond surtout à un calcul financier, sans véritablement prendre en compte le statut social de son bénéficiaire. Il mène aussi à des incohérences, conduisant par exemple de nombreux couples à vivre leur amour caché de peur de perdre une aide qui leur permet de vivre juste au-dessus du seuil de pauvreté.

« Faut-il le rappeler ? Pour des personnes considérées comme ne pouvant pas travailler, le montant maximal de la prestation (903,60 euros) est, pour une personne seule, proche du seuil de pauvreté, calculé sans tenir compte des surcoûts liés au handicap. »

Tribune d’un collectif d’universitaires et de chercheurs parue dans Le Monde le 17 juin.

C’est cette même logique comptable qui a conduit le gouvernement à augmenter le plafond de l’AAH, en ignorant totalement la demande de déconjugalisation émanant des associations et bénéficiaires. Or, le véritable enjeu est davantage sociétal que financier : il s’agit, pour les personnes concernées, de vivre dignement et de manière indépendante de leur conjoint lorsqu’elles ne peuvent pas travailler suffisamment pour un revenu décent.

Blocage du vote à l’Assemblée : le refus d’une mesure de justice sociale 

Dès février 2020, l’Assemblée nationale avait adopté en première lecture le texte proposé par le groupe parlementaire Libertés et territoires, destiné à déconjugaliser l’AAH. Puis le Sénat l’a amendé et votée en mars dernier avant de le transmettre à l’Assemblée en deuxième lecture. 

Le 17 juin, les députés avaient donc la possibilité de voter cette mesure garantissant les droits fondamentaux des porteurs de handicap. Mais la loi contenant l’idée de désolidarisation de l’AAH ne verra pas le jour. Le gouvernement et sa majorité parlementaire ont en effet obtenu l’adoption d’une nouvelle version du texte sans ce principe, par la procédure très rarement utilisée du vote bloqué. Un déni de démocratie décrié par les députés de tous bords, les associations et les personnes concernées qui ont soutenu la mesure.

« Le Collectif Handicaps dénonce une mesure votée contre l’avis du rapporteur de la commission des affaires sociales de l’Assemblée, contre l’avis d’une opposition transpartisane sur les bancs de l’hémicycle, contre l’avis rendu au nom du peuple en première lecture dans nos deux assemblées, contre l’avis de la Commission nationale consultative des droits l’Homme et de la Défenseure des droits, et enfin contre l’avis des personnes en situation de handicap, fortement mobilisées. »

Communiqué de presse du Collectif Handicaps en date du 17 juin.

Pour se défendre face au tollé provoqué dans l’Hémicycle, Sophie Cluzel, secrétaire d’État chargée des personnes handicapées, a d’abord mis en avant la solidarité familiale, en plaçant au même rang l’AAH et les autres minima sociaux tels que le RSA. Or l’allocation aux adultes handicapés n’est pas un minimum social comme les autres. Il s’agit de remplacer un revenu pour des personnes qui ne peuvent pas ou plus travailler. La responsable politique a également souligné le coût déjà élevé de l’augmentation du seuil de l’AAH, avant d’invoquer, visiblement à court d’arguments, les risques de dysfonctionnements informatiques liés à la déconjugalisation.

Les sénateurs favorables au projet ont annoncé dès le 18 juin vouloir porter les revendications pour l’individualisation de l’allocation lors de la deuxième lecture au Sénat. Espérons que cette fois, le gouvernement entendra la voix des personnes handicapées et garantira leurs droits fondamentaux à l’autonomie et à la dignité. Ceux-là mêmes qui figurent dans la Convention des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées que la France a ratifiée le 31 décembre 2009 :

« Les principes de la présente Convention sont :

  • 1. Le respect de la dignité intrinsèque, de l’autonomie individuelle, y compris la liberté de faire ses propres choix, et de l’indépendance des personnes;
  • 2. La non-discrimination ;
  • 3. La participation et l’intégration pleines et effectives à la société ;
  • 4. Le respect de la différence et l’acceptation des personnes handicapées comme faisant partie de la diversité humaine et de l’humanité ;
  • 5. L’égalité des chances ;
  • 6. L’accessibilité ;
  • 7. L’égalité entre les hommes et les femmes ;
  • 8. Le respect du développement des capacités de l’enfant handicapé et
  • 9. Le respect du droit des enfants handicapés à préserver leur identité. »

Article 3 de la Convention des Nations-Unies relative aux droits des personnes handicapées.

Quelle est votre réaction ?
Étonnant
1
Intéressant
0
J'adore
1
J'aime
0
Je n'aime pas
0
Vous souhaitez commenter cet article ? Cliquez-ici

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée, il s'agit simplement de lutter contre le spam :)

← Revenir en haut