À la découverte de la systémie #1 – Laurence

Le 15 février 2022, la députée Bénédicte Pételle organisait un rendez-vous à l’Assemblée Nationale : « Regards croisés sur la thérapie brève et systémique de Palo Alto ». À cette occasion, des psychiatres, députés, thérapeutes systémiciens et professionnels du social étaient conviés pour échanger sur cette pratique.

Et vous, connaissez-vous la systémie ? Cette approche développée dans les années 1950 se fonde sur une lecture originale des relations humaines. Selon les penseurs de l’École de Palo Alto, les problèmes d’une personne surviennent et se maintiennent en raison des modalités interactionnelles entre la personne qui souffre d’une situation et son entourage. Tout au long du XXe siècle, la systémie a donné naissance à différentes disciplines, parmi lesquelles la thérapie brève et la thérapie familiale.

Mais c’est sur l’approche systémique stratégique que Le Média d’Epsilon Melia a souhaité s’attarder. En effet, si le travail social français a su se saisir des thérapies familiales par exemple, la systémie stratégique est encore trop peu investie par les professionnels. Elle a pourtant été adoptée dans de nombreux pays : Belgique, Luxembourg, Canada, Italie… Les travaux de Guy Hardy montrent son efficience dans le domaine de la protection de l’enfance[1], et ceux de Marie-Christine dans le domaine de la psychiatrie[2]. Qu’attendons-nous !

Pour donner de la visibilité à cet outil méconnu, Le Média donne la parole à des intervenants du champ du social qui utilisent l’approche systémique stratégique dans leur travail. Ces professionnels bénéficient d’une grande expérience de la systémie. Ils évoquent leur parcours, leur rencontre avec la discipline et leur utilisation des outils de Palo Alto dans leur pratique quotidienne.

Puissent leurs témoignages nous inspirer !


Laurence Lesault

Laurence Lesault est intervenante systémicienne au Service Judiciaire d’Investigation Éducative (SJIE) de l’association La Sauvegarde des Yvelines. Sa mission ? Réaliser des Mesures Judiciaires d’Investigation Éducative (MJIE) ordonnées le juge des enfants en assistance éducative. D’un naturel pratique et dynamique, Laurence fait preuve d’une solide confiance en les compétences des familles.

I) Laurence et la systémie

Assistante sociale de formation, Laurence travaille depuis 35 ans dans le champ de la protection de l’enfance. Dès ses premières expériences à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ), elle réalise combien il est important pour elle de penser concret. En entretien, Laurence se méfie des formulations généralistes du type « je suis débordée », « je n’arrive pas à gérer »… Elle demande aux parents et aux jeunes de rentrer dans le détail de leurs interactions pour comprendre ce qui, de manière très concrète, entraîne la crise. Elle préfère envisager une situation relationnelle selon son contexte et avoue réagir de façon épidermique aux assignations. Caractériser un parent comme défaillant ou un jeune comme délinquant lui semble être le meilleur moyen de le tenir en échec.

Laurence découvre l’approche systémique à l’occasion d’une conférence de Guy Ausloos[3] organisé par l’administration pénitentiaire. Les expressions de compétence des familles, posture congruente et co-construction lui parlent immédiatement. Elle décide de se former en thérapie familiale au CECCOF[4], l’un des seuls organismes de l’époque à traiter la question de l’aide sous contrainte. Elle suit les 3 années de formation, dont la dernière est consacrée à la thérapie brève dite orientée solution dans la tradition de l’École de Palo Alto. Séduite par cette approche de la résolution de problèmes, Laurence décide de se former à l’approche systémique stratégique au sein de l’Institut Grégory Bateson (IGB).

Sur le terrain, Laurence constate l’efficience d’une telle approche. Ses collègues manifestent un véritable intérêt pour sa pratique, mais Laurence sent naître le désir d’explorer plus avant les outils de la systémie, auprès de pairs formés comme elle. En 2010, elle intègre un service au fonctionnement intégralement systémique : le (futur) SJIE !

II) Systémie et protection judiciaire de l’enfance

Le SJIE, un service à vocation systémique

Le service où travaille Laurence est très original, car il a été imaginé d’après les principes de la pensée interactionnelle. Le projet de service prévoit que tous ses professionnels soient formés à la systémie, de sorte qu’ils tiennent leur légitimité de cette approche. Ainsi, psychologues, éducateurs ou assistants sociaux interviennent de manière non différenciée : ils sont d’abord et avant tout intervenants systémiciens.

Le rôle de Laurence et de ses collègues est de conseiller le juge sur les solutions permettant la protection des enfants (aide éducative, placement…). Lorsque ce dernier ne dispose pas des éléments nécessaires pour orienter le jeune, il missionne le SJIE L’équipe dispose alors de 6 mois pour s’approprier le dossier et rencontrer les familles en vue de rédiger un rapport qui viendra éclairer la décision du Juge.

La mission est donc la même que celles des services d’investigation traditionnels ; mais ce qui fait toute la différence est la mise en œuvre !

Mode opératoire et spécificités de l’aide sous contrainte

Chaque famille est suivie par un binôme de professionnels qui prend le temps d’étudier son dossier judiciaire avant la première rencontre. Suivra une série d’entretiens adaptables en nombre, en durée et en fréquence selon les besoins des personnes accompagnées. 

En effet, dans le contexte particulier de l’aide sous contrainte, l’enjeu est de retrouver une certaine souplesse ! Rappelons que dans le cas d’une MJIE., ce n’est pas la famille qui manifeste un désir d’être aidée, mais le juge qui prescrit une intervention. Laurence et son équipe assument et, au-delà, embrassent cette situation. Les professionnels ne demandent jamais aux familles de faire siennes les attentes du Juge. L’approche systémique se veut respectueuse de la vision du monde de chacun.

Ainsi, le travail des professionnels va constituer en l’accompagnement des familles afin qu’elles puissent formuler leur problème à elles[5] – pas celui auquel le juge voudrait les ramener. La définition d’une problématique personnelle, formulée par l’individu lui-même, est une étape essentielle dans la mobilisation des familles vers le changement.

Bien sûr, il arrive que les familles ne soient pas réceptives et que la demande n’émerge pas. Alors, Laurence et ses collègues ancrent leur discours dans le réel et le tourne vers l’action : « Votre problème est l’audience à venir avec le juge des enfants. Comment l’envisagez-vous ? ». Dans une démarche de responsabilisation, les familles sont placées face à leurs choix et à leurs conséquences : « Si vous ne respectez pas la loi, vos enfants ne pourront plus vivre chez vous », etc. Il ne s’agit jamais d’un jugement de valeurs mais de données factuelles. 

La richesse des outils systémiques

Le rôle des entretiens (familiaux, individuels, différenciés) est de révéler le fonctionnement familial et les ressources mobilisables. À cet égard, l’approche systémique stratégique regorge d’outils ! Laurence souligne la pertinence de la lecture interactionnelle pour mettre en questionnement un adolescent : « Tu sais quoi faire pour mettre ta mère en colère ? Et bien peut-être, à l’inverse, saurais-tu quoi faire pour l’apaiser ? ».

Travailler en binôme permet de créer des configurations différentes. Les professionnels peuvent se distinguer pour chacun rejoindre, par exemple, l’un et l’autre membre d’un couple, ou l’enfant et son parent ; ils sont ainsi complémentaires. Mais ils peuvent aussi, dans leurs interactions, donner à voir un comportement dans lequel la famille se reconnaîtra (ou pas), ce qui lui permettra de s’en affranchir ou de l’adopter.

III) Approche systémique dans le social : un outil menacé ?

Depuis 25 ans, le SJIE expérimente l’efficience de l’approche systémique stratégique comme outil d’investigation et comme levier du changement au sein des familles. Mais il arrive à Laurence de s’inquiéter pour son service. Le SJIE est victime de son succès, au point d’afficher des délais de plusieurs mois avant de pouvoir traiter certaines mesures. Parfois, c’est le magistrat lui-même qui raccourcit le délai initialement prévu. Laurence alerte sur le fait qu’une pensée complexe comme la systémie ne peut se développer en un temps réduit.

Trop marginale en France malgré ses résultats excellents, l’approche systémique stratégique doit sans cesse être défendue. Du fait de son engagement et de sa générosité, Laurence en est une belle ambassadrice !

De plus, comme une grande majorité des acteurs du social, la direction peine à recruter des professionnels qualifiés. La maîtrise des outils systémiques tend à se diluer au sein de l’équipe, alors même qu’elle présidait à la création du service.


[1] HARDY, Guy. S’il te plaît, ne m’aide pas ! L’aide sous injonction administrative ou judiciaire, Toulouse, Érès [Relations], 2012.

[2] BEAUZÉE, Nathalie, CABIÉ, Marie-Christine, LELEVRIER-VASSEUR, Annie, RYBAK, Christian. « Un apport systémique en santé mentale. L’entretien infirmier en institution : un temps fondamental », dans Thérapie familiale, 2003/1 (Vol. 24), p. 5-20.

[3] Pédopsychiatre belge spécialisé en thérapie familiale, Guy Ausloos est une figure majeure de la systémie depuis les années 1970. Professeur agrégé de clinique en psychiatrie, il a notamment enseigné à de l’Université de Montréal.

[4] Centre d’Étude Cliniques des Communications Familiales, fondé en 1979 par Bernard Prieur.

[5] Ex. : le comportement rebelle de leur adolescent. Ici, Le terme de « problème » est à entendre au sens systémique, comprendre « la difficulté à laquelle elles sont confrontées à un moment et dans un contexte donnés ».

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