À la découverte de la systémie #2 – Marianne

Connaissez-vous l’approche systémique stratégique développée par l’École de Palo Alto ? Trop peu mobilisée dans le travail social français, cette approche de la résolution de problème a pourtant fait ses preuves dans les domaines de la psychiatrie et de la protection de l’enfance. Le Média d’Epsilon Melia met en lumière le travail de professionnels qui utilisent la systémie stratégique depuis de nombreuses années, avec succès !


Marianne Bille

Découvrez aujourd’hui le portrait de Marianne Bille, psychologue clinicienne à la Protection Judiciaire de la Jeunesse (PJJ). Marianne intervient dans une unité de consultation familiale fondée sur l’approche systémique. Son témoignage nous éclaire sur le fonctionnement du service et de son équipe singulière.

I) Marianne et la systémie

Après des études de psychologie clinique à Paris V – René Descartes, Marianne identifie rapidement son intérêt pour l’accompagnement des adolescents et des pathologies de l’agir. Elle souhaite s’installer comme thérapeute pour enfants et se rapproche de la Société Psychanalytique de Paris (SPP). En parallèle, elle commence à travailler à la Protection Judiciaire de la Jeunesse. 

À l’occasion de ses premières expériences professionnelles, Marianne s’interroge. La psychanalyse lui fournit des outils performants pour comprendre les patients et leurs situations, mais il lui semble qu’elle n’est pas toujours source de changement pour les personnes qu’elle reçoit. En effet, dès 1998, Marianne est consultée en tant qu’experte par les tribunaux ; elle doit évaluer l’état psychologique et le risque de récidives des détenus. Une question s’impose dans son parcours : qu’est-ce qui suscite le changement chez une personne ?

Sa rencontre avec la systémie se fait par l’intermédiaire d’une psychiatre en poste dans l’un de ses services. Elle découvre le travail sur la relation dans l’ici et maintenant et constate que les jeunes s’en saisissent, deviennent acteurs de leur parcours avec les soignants.

Marianne décide de se former à la thérapie familiale. Elle se dirige vers l’Association parisienne de recherche et de travail avec les familles (Aprtf) où elle suit 4 années de formation, auprès notamment d’Elida Romano[1]. Puis elle se forme à la thérapie familiale multidimensionnelle (MDFT), plus stratégique, auprès d’Olivier Phan[2].

Forte de ses nouvelles compétences, elle poursuit sa pratique au sein de services éducatifs en milieu ouvert et d’hébergement. En 2003, elle intègre l’unité très originale où elle exerce toujours aujourd’hui.


II) EMO La Fayette, unité de consultation familiale

Esprit du service

Marianne intervient dans une Unité Éducative en Milieu Ouvert. Dénommé : Dispositif Educatif Systémique (D.E.S), son service s’intitule depuis un an : UEMO La Fayette approche systémique, à Paris. Le service est créé en 1979 par Pierre Segond et Christianne Chirol, deux psychologues du CNRS, dans une démarche expérimentale[3]. Il est alors – et reste aujourd’hui – le seul service de la PJJ au fonctionnement intégralement systémique. La culture traditionnelle de la PJJ se fonde sur la pluridisciplinarité, la mise en œuvre du projet éducatif naissant du regard croisé des professionnels (éducateurs, psys, assistants sociaux…), chacun utilisant les outils propres à son champ. Pour l’UEMO La Fayette, c’est très différent : la rencontre se fonde sur la maîtrise d’un même outil, la thérapie systémique. Les formations initiales des professionnels passent donc au second plan.

Mode opératoire

La mission est donc la même que celles des services d’investigation traditionnels ; mais ce qui fait toute la différence est la mise en œuvre !

Mode opératoire et spécificités de l’aide sous contrainte

Les familles sont orientées vers l’UEMO sur décision du magistrat, dans un cadre civil (protection de l’enfance) ou pénal (enfance délinquante). S’ouvrent alors 6 mois d’investigation et de travail avec la famille, dont il résultera un rapport visant à éclairer et à aider le juge dans sa décision et ses futures orientations. 

Marianne distingue 4 axes dans l’intervention de son équipe.

1. L’alliance avec les familles

Les premiers entretiens visent à créer une alliance avec la famille. Pour cela, un travail est engagé sur la demande. Il s’agit de rappeler que Marianne et ses collègues interviennent dans le cadre d’une double contrainte : ordonné par le juge, le suivi est imposé au bénéficiaire comme au professionnel.

Selon la logique de la seconde cybernétique, l’équipe s’inclut donc dans la prise en charge. L’enjeu est de prendre conscience de la place de chacun dans ce nouveau système. L’équipe s’applique à ne pas former de coalition, ni avec le juge ni avec la famille. L’alliance thérapeutique naît du croisement des demandes – et/ou de l’absence de demande – de chacun.

C’est dans ces conditions que les intervenants peuvent accompagner la famille, l’aider à faire sienne cette demande qui n’émane pas d’elle, voire en faire émerger une nouvelle de la part de la famille.

2. Le retour sur le passage à l’acte de l’adolescent

L’approche du service est de tenter de comprendre les comportements ou les mises en danger de l’adolescent au regard de l’histoire singulière de la famille, de sa problématique et de son organisation relationnelle. En systémie, le passage à l’acte délinquant du jeune est considéré comme un symptôme. Il doit être décrypté et situé dans le fonctionnement de la famille. Dans la tradition de l’école de Milan, le symptôme est donc connoté positivement par rapport à l’homéostasie familiale : il participe d’un certain équilibre des rapports familiaux et trouve son sens dans celui-ci. Cette approche permet de sortir des désignations en cascade, de ne pas expliquer le passage à l’acte par une « mauvaise nature » du parent ou de l’enfant mais de l’inscrire dans un contexte.

Lors de cette phase, les professionnels de l’UEMO utilisent les outils de l’approche stratégique pour identifier les boucles interactionnelles, comportements récurrents dont les familles sont prisonnières. Ils invitent les personnes reçues à exprimer leurs émotions plutôt qu’à vouloir rationnaliser les situations, afin d’obtenir un nouveau point de vue vers de nouvelles tentatives de solution.

3. L’analyse du fonctionnement des familles

Avant de prendre le nom de « La Fayette systémique », l’UEMO était désignée administrativement comme service de « consultation familiale ». Ainsi, les outils de la thérapie familiale sont au cœur du travail des professionnels.

Selon l’approche structurale, il s’agit d’identifier les sous-systèmes, les loyautés, les places, les rôles de chacun au sein de la famille. Le travail s’intéresse à l’ici et maintenant et au plan transgénérationnel afin de repérer les répétitions à tous les niveaux. Il met en jeu des outils très concrets comme la carte relationnelle ou le génogramme.

Ces trois temps vont permettre aux équipes de rédiger un rapport, dont la vocation est d’apporter au magistrat une analyse de la dynamique et du fonctionnement relationnel familiaux.Mais, Marianne le précise aussitôt : l’action de l’UEMO La Fayette ne se limite pas à l’investigation. L’accompagnement des familles dans un travail d’élaboration et de réappropriation de leur histoire au regard du passage à l’acte de leur adolescent est la colonne vertébrale du travail mené.

4. La mobilisation des ressources de la famille

Les intervenants systémiciens ne sont pas des observateurs en surplomb qui se limiteraient au repérage, à la prise de notes. Marianne définit l’approche adoptée comme expérientielle : elle donne à voir et surtout à expérimenter d’autres modes de relation pour les personnes accompagnées. Les prises de conscience quant aux redondances, l’expression des émotions, etc. doivent déboucher sur l’expérience de nouveaux comportements permettant de s’extraire des situations problématiques. En ce sens, P. Segond parlait de « thérapie non déclarée ».

5.La prise en compte des systèmes de prise en charge

Les professionnels systémiciens évaluent les ressources mobilisables au sein du système familial et ses capacités de changement. Mais ils s’attachent également à identifier les différents systèmes de prise en charge qui permettront de poursuivre un accompagnement du mineur et de sa famille à la fin de la mesure. La prise en compte de ces systèmes s’inscrit dans un souci d’articulation et de cohérence.

III) Des postes à profils pour une équipe solide

Le témoignage de Marianne fait ressortir l’importance du travail d’équipe au sein de l’UEMO. Les entretiens sont toujours menés en binômes de composition aléatoire. Deux configurations sont possibles :

  1. L’intervention « classique » en thérapie familiale. Un professionnel échange avec la famille tandis que son collègue observe ces interactions derrière une glace sans tain. Ce dernier repère les comportements atypiques dans les interactions pour pouvoir les décrypter. Ce « double regard » est privilégié dans l’accueil des familles les plus dysfonctionnelles.
  2. La cointervention. Les professionnels échangent tous les deux avec la famille. Généralement, l’un dirige l’entretien et l’autre peut relancer, souligner un comportement, etc.

Quelle que soit la configuration, l’intervention nécessite une grande confiance en l’autre et une connaissance de sa façon de travailler. Les professionnels, tous thérapeutes familiaux, entretiennent ainsi des liens privilégiés : l’équipe, composée de 2 psychologues, 3 éducateurs et 1 psychiatre[4], n’a pas changé depuis 15 ans. Leur rencontre se fondent sur un choix fort : celui d’œuvrer ensemble, réunis par cette approche singulière qu’est la systémie.

En conclusion, les conduites délictuelles de l’adolescence sont des défis lancés à la loi comme à la famille. On ne peut comprendre leur sens et leur fonction que grâce à une modélisation théorique, rendant compte de la complexité,c’est-à-dire qui tienne compte des articulations entre les différents systèmes en cause, notamment l’intra psychique, le système familial, le social.

L’approche systémique, appliquée au champ du judiciaire et mise en œuvre par cette équipe de la PJJ, a pour finalité de tenter de comprendre la fonction du passage à l’acte du mineur et son inscription dans l’histoire familiale, mais aussi d’ouvrir sur les possibles responsabilités partagées et sur des changements relationnels familiales possibles.

Vous souhaitez découvrir les outils de la systémie ? Découvrez le parcours de formation « Approche systémique et Stratégie » d’Epsilon Melia !


[1] Psychologue clinicienne, thérapeute familiale, elle a contribué à la création de l’Unité de Thérapie Familiale d’Aubervilliers qu’elle a dirigé jusqu’en 2014.

[2] Psychiatre addictologue, il est l’un des importateurs de la Multidimensional Family Therapy (MDFT), née aux États-Unis, en France.

[3] Le service s’appelle alors la Consultation familiale. Pour une présentation du service et de son histoire, voir GUZNICZAK, Bernard. « Consultation familiale à Paris. Une prise en charge originale »,dans Les Cahiers Dynamiques, 2009/3 n°45, p. 76-80.

[4] À cette équipe de 6 professionnels s’ajoutent un responsable d’unité et une secrétaire.

Quelle est votre réaction ?
Étonnant
0
Intéressant
3
J'adore
4
J'aime
0
Je n'aime pas
0
Vous souhaitez commenter cet article ? Cliquez-ici

Laisser un commentaire

Votre adresse email ne sera pas publiée, il s'agit simplement de lutter contre le spam :)

← Revenir en haut