Pour un Ségur élargi à l’ensemble du champ social et médico-social

champ social et médico social

Sous-effectif, isolement, manque d’équipements, faible rémunération : la crise sanitaire et sociale que nous sommes en train de vivre a exacerbé les carences du secteur de l’accompagnement social. Les difficultés rencontrées par les personnels ne sont pas nouvelles, tout comme les demandes de moyens humains et financiers supplémentaires. Alors que le Ségur se dessine pour revaloriser certains métiers du soin, les « oubliés » des mesures gouvernementales revendiquent l’équité avec l’ensemble du secteur social et médico-social. Face aux enjeux à venir et à la pénurie de personnels, il est temps que les pouvoirs publics agissent pour soutenir l’accompagnement social et rendre le secteur attractif !

L’indispensable soutien des travailleurs sociaux pendant la crise sanitaire

Jeunes en situation de grande précarité, violences familiales qui explosent, perte sèche d’emploi, personnes âgées isolées… Dès le début de la pandémie de la Covid-19, les professionnels se sont mobilisés pour faire face à de nombreuses situations d’urgence. Qu’il s’agisse d’ouvrir des classes numériques dans les centres d’hébergement, de distribuer des denrées alimentaires, de répondre aux appels à l’aide de femmes violentées, les activités des travailleurs sociaux ont été mises en tension pendant la crise sanitaire, au même titre que le personnel soignant hospitalier et bien d’autres professions. Ils ont aussi dû affronter la maladie : dans leurs rangs, mais aussi chez leurs résidents, bénéficiaires ou patients. 

Toutes structures confondues, les soignants – comment appeler autrement ceux qui prennent soin des autres – ont été en première ligne, mettant en lumière le caractère essentiel de leur métier. Pourtant, le Ségur de la santé annoncé par le gouvernement a laissé sur le carreau un grand nombre de ces professionnels, les privant d’une reconnaissance légitime de leur engagement auprès des plus vulnérables.  

L’accompagnement : une urgence aujourd’hui, un enjeu pour demain

Au-delà de la période particulière que nous vivons depuis le printemps 2020, l’enjeu est bien de se préparer au monde post-pandémie, dans lequel le nombre de personnes en situation de fragilité aura explosé. On pense notamment aux jeunes, qui porteront pour longtemps les stigmates de la crise sanitaire (voir notre article au sujet de cette jeunesse abîmée par la pandémie), mais aussi aux plus précaires qui ont subi de plein fouet le manque de lien social et aux personnes souffrant de troubles psychiques, en nette augmentation.

Il faut donc anticiper les besoins en accompagnement social et cela passe par la dotation de moyens humains et matériels dans les structures. Présente dans les discours des autorités publiques, la reconnaissance du secteur social et médico-social tarde à se traduire par des politiques de solidarité et de santé concrètes et ambitieuses.

« Tous semblent convaincus de l’importance de ces professionnels pour la cohésion de notre société, mais la concrétisation de cette conviction peine à trouver sa voie, révélant de fortes contradictions entre les constats, les discours et la mise en œuvre sur le terrain. »

Extrait du rapport du Haut conseil du travail social, Le Travail Social au défi de la crise sanitaire. Impact de la crise sanitaire de la COVID-19 sur les organisations et les pratiques professionnelles des travailleurs sociaux, janvier 2021.

Les métiers du care en crise d’attractivité

Les études prospectives l’affirment : pour faire face aux enjeux que nous venons d’évoquer, le secteur du soin va recruter dans les prochaines années. Pourtant, le déficit d’intérêt est de plus en plus criant pour les métiers concernés. En cause : le manque de reconnaissance, la faiblesse des moyens alloués et une charge de travail administratif intenable.

Des conditions de travail détériorées

Dans le secteur social, les salaires sont faibles et ne suivent pas la réalité économique du pays. « En 20 ans, un jeune embauché aura vu le salaire d’embauche ne progresser que de 9 %, alors que l’inflation a progressé de 28 % sur la période », avec comme conséquence des difficultés à se loger à distance raisonnable de son travail ou tout simplement à faire vivre son foyer. Comme nous le rappelle l’association Aurore*, l’engagement sans faille des soignants pendant la crise de la Covid-19 montre que les causes de la pénurie de personnels ne sont pas à rechercher dans la perte de sens pour le métier, mais plutôt aux mauvaises conditions de travail. Là où les CDD fleurissent, le très faible nombre de CDI proposés rebute les jeunes. Conséquence, « Il y a une déprofessionnalisation progressive des métiers du social et un délaissement des formations jugées peu prestigieuses ou rémunératrices », selon Nans Mollaret, président de l’Association des cadres territoriaux de l’action sociale.

Les centres de formation aux métiers du social et du médico-social remplissent difficilement leurs promotions, engendrant un sous-effectif constant dans les structures. Du côté des salariés en poste, on compense, on se fatigue et on finit par partir. Le turn-over est galopant, au détriment de la qualité de suivi. Dans une tribune publiée par le journal Le Monde, Daniel Goldberg alerte même sur le point de rupture imminent dans les régions déjà sous-dotées en équipements et personnels comme l’Île-de-France. In fine, le fonctionnement dégradé des structures sociales et médico-sociales affecte directement l’accompagnement des personnes vulnérables. 

Le poids de l’administratif

La détérioration des conditions de travail ne date pas de la pandémie. La crise sanitaire a exacerbé des dysfonctionnements déjà existants. Depuis les années 80, l’accroissement de la pauvreté et le vieillissement de la population ont conduit à fragmenter les dispositifs sociaux pour répondre aux différents besoins (ex : création du RMI, aide au logement). Dans le même temps, la comptabilisation des actions sociales et la course à l’évaluation ont participé à déshumaniser le travail social. Aujourd’hui, les travailleurs sociaux courent après le temps. Ils doivent non seulement répondre à des situations d’urgence, mais aussi passer un temps considérable à remplir des dossiers administratifs. Même si le rapport fourni par le Haut Conseil du travail social début janvier préconise de « Recentrer l’intervention des travailleurs sociaux sur l’accompagnement individuel et collectif […] en simplifiant les circuits et procédures », on peine aujourd’hui à voir cet allègement des contraintes. 

Dans ce contexte, il n’est pas étonnant que le secteur souffre d’un déficit d’attractivité et ne déclenche plus de vocations chez les plus jeunes.

Ségur : réparer l’injustice pour assurer la cohésion sociale 

Ce mardi 15 juin, les « oubliés » du Ségur de la santé manifestaient partout en France pour une revalorisation équitable de tous les métiers d’accompagnement social et médico-social. 

« Durant l’épisode Covid-19, les travailleurs sociaux ont été en première ligne. Nous nous sommes occupés de personnes en difficultés sociales, de personnes handicapées. Nous avons accompli nos missions qui sont d’intérêt général, avec abnégation et sans équipements de protection. Et pourtant, nous avons été totalement exclus des négociations autour des 183 € du Ségur. Nous voulons de la reconnaissance »

John Saliou, coordinateur régional de la CGT, interrogé par le journal Ouest France.

Le 28 mai dernier, Matignon a fait un pas de plus en annonçant la signature de deux nouveaux accords avec les établissements et services pour personnes handicapées. 90 000 personnes devraient ainsi percevoir une augmentation de 183 euros nets par mois à compter du 1er octobre 2021 pour le public (début 2022 pour le privé). Mais cette revalorisation sélective a de fait engendré un sentiment d’injustice en excluant les psychologues du secteur privé non lucratif, les éducateurs, les salariés administratifs et logistiques, les personnels de la protection de l’enfance qui se sont engagés de la même manière.

On compte aujourd’hui environ 1,2 million de travailleurs sociaux qui se dévouent chaque jour pour les plus fragiles. Comment notre modèle social pourra-t-il tenir si demain il n’y a plus personne pour s’occuper des personnes les plus vulnérables ? C’est bien l’ensemble du secteur social et médico-social qui doit être pris en compte. Revalorisation des salaires, mais également investissement dans la formation, campagnes d’attractivité pour les métiers de la solidarité, facilitation de la formation continue.

Il est temps pour le gouvernement de prendre soin de ceux qui prennent soin en offrant davantage de reconnaissance, de moyens humains et matériels aux structures d’accompagnement social en France. 

« Nous intervenons de la naissance jusqu’à la fin de vie. De passage ou sur plusieurs années, nous sommes là pour écouter, accompagner, soutenir, guider….

Aujourd’hui notre profession est de nouveau meurtrie, endeuillée par un drame humain. 

Nous sommes garants de la paix sociale, parfois au détriment de notre vie et souvent au détriment de notre sécurité.

Nous sommes nombreux à avoir connu des situations de violences lors de visites à domicile, lors de permanences, parfois même dans les tribunaux…. nos professions font partie de celles qui ont le plus haut niveau de risques psychosociaux.

Nous sommes tous les jours menacés, insultés….

Aujourd’hui nous nous sentons abandonnés par la République ! Encore combien de drames pour être entendus ?

Nous sommes une profession de l’ombre mais, aujourd’hui nous avons besoin de lumière, de reconnaissance et de soutien de la part de la nation. »

Extrait de la pétition pour le soutien et la reconnaissance des travailleurs sociaux, suite au meurtre d’Audrey Adam, assistante sociale tuée dans l’exercice de ses fonctions.

*À travers cet article, nous nous associons à la motion de l’association Aurore pour un plan d’action pour les métiers de la solidarité.

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