Traumatisme de l’exil et risques de psychopathologie chez les MNA
Les mineurs non accompagnés (MNA) sont des jeunes extrêmement vulnérables, entraînés sur les chemins de l’exil. Ils arrivent seuls dans le pays d’accueil, avec derrière eux, un parcours souvent marqué par des violences, des séparations, et des deuils. Pour eux, le risque est grand de développer des troubles psychiatriques. C’est pourquoi les professionnels du secteur social et médico-social doivent être solidement formés pour être en mesure de leur proposer des accompagnements spécifiques, mais qui prennent aussi en compte leur culture d’appartenance.
Les particularités des mineurs non accompagnés
La France accueille tous les ans des milliers de mineurs non accompagnés, qui demandent à être protégés.
Un changement de dénomination depuis 2016
En 2016, le garde des Sceaux a changé la dénomination de « mineur isolé étranger » (MIE) en « mineur non accompagné » (MNA), afin que la France soit en conformité avec la directive européenne. L’objectif était également de mettre en évidence l’isolement de ces mineurs plutôt que leur statut d’étranger. Car ces enfants et adolescents sont avant tout des jeunes en détresse qu’il est essentiel de protéger, et qui relèvent du dispositif de protection de l’enfance, quelle que soit leur origine géographique.
Une prise en charge censée être équitable quelle que soit l’origine du mineur
Le mineur non accompagné est un jeune de moins de 18 ans, de nationalité étrangère, qui arrive sur le territoire français, mais n’est pas accompagné d’un adulte détenteur de l’autorité parentale ou de son représentant légal. Il a droit à une protection de l’État, qu’il soit privé temporairement ou définitivement de son milieu familial (article 20 de la Convention internationale des droits de l’enfant). Les MNA sont donc censés bénéficier de la même protection que tout autre enfant.
La loi du 7 février 2022 relative à la protection des enfants a également pour objectif de mieux protéger les mineurs non accompagnés en permettant de les répartir de façon plus juste sur le territoire français (prise en compte des caractéristiques socioéconomiques des départements, mise en valeur des départements offrant une protection aux MNA lors du passage à l’âge adulte).
En 2022, la plupart des mineurs non accompagnés qui sont entrés dans le dispositif de la protection de l’enfance étaient âgés de 16 ans, avec une prédominance de garçons.
Dans la pratique, une situation complexe pour les acteurs de la protection de l’enfance
Les conseils départementaux, chargés de la protection de l’enfance, doivent prévoir une mise à l’abri temporaire d’urgence pour protéger le mineur non accompagné et analyser sa situation. Les départements soulèvent leurs difficultés dans l’accompagnement des MNA :
- certains départements permettent aux MNA qui souhaitent s’insérer socialement et professionnellement après 18 ans de prolonger leur contrat jeune majeur jusqu’à 25 ans. Mais cette pratique n’a pas lieu dans tous les départements, ce qui crée de grandes disparités. De plus, le MNA doit exposer ses motifs : il doit être en situation régulière sur le territoire français, montrer qu’il a un projet professionnel, ou avoir une maladie mentale ou physique nécessitant la poursuite de sa prise en charge ;
- les départements accueillent davantage de mineurs non accompagnés relativement jeunes (notamment des jeunes filles), et ne disposent pas toujours de suffisamment d’hébergements. Ils peinent également à proposer des accompagnements adaptés à des enfants et adolescents profondément traumatisés, et pouvant être sujets aux addictions (drogue, alcool, etc.). De nombreux jeunes se retrouvent ainsi en situation de vagabondage faute de dispositifs d’accueil
- Les mineurs non accompagnés sont également victimes de traite des êtres humains, et les départements alertent sur le manque de moyens pour lutter contre cette prostitution ;
- La pénurie de médecins dans certains départements français ne permet pas de prendre correctement en charge la santé des MNA.
Les différents profils de mineurs non accompagnés
Les MNA ont des parcours, des profils et des raisons de fuir leur pays d’origine qui diffèrent. Parmi les jeunes accueillis, on observe cinq types de mineurs isolés.
Les mineurs exilés
Généralement, les mineurs exilés fuient la guerre ayant lieu dans leur pays d’origine. Ils peuvent également subir des conflits entre plusieurs ethnies. Ils ont peur d’être forcés d’aller au combat, d’être victimes de violences de la part d’autres groupes ethniques, ou d’être attaqués du fait des idées politiques de leur famille. Ils n’ont plus de parents, et sont en danger même s’ils ont été pris en charge par des membres de leur entourage ou une institution.
Les mineurs mandatés
Les mineurs mandatés sont partis de leur pays d’origine pour pouvoir subvenir aux besoins de leur famille. Ce départ peut être volontaire ou largement encouragé par les proches surtout lorsqu’il s’agit de trouver un lieu où ils pourront réussir professionnellement.
Les mineurs exploités
Ils sont victimes de réseaux de traite des êtres humains qui leur promettent monts et merveilles une fois arrivés dans le pays d’accueil (faire des études, obtenir un emploi, etc.). Lorsqu’ils entrent en France, ils sont finalement victimes de prostitution, travaillent dans des ateliers clandestins, etc.
Les mineurs fugueurs
Ils fuient leur famille parce qu’ils ressentent du mal-être (victimes de violences conjugales, de violences physiques, etc.), et ont l’espoir de recommencer une nouvelle vie dans un autre pays.
Les mineurs errants
Les mineurs font du vagabondage un mode de vie. Ils peuvent commencer à vivre de cette façon dans leur pays d’origine, puis se tourner vers des pays riches en espérant profiter d’une vie un peu meilleure. Ils sont souvent victimes de prostitution, ont des addictions, et occupent des emplois très précaires.
Les mineurs non accompagnés sont donc des enfants ou des adolescents qui ont des histoires différentes, mais qui ont les mêmes problématiques : ils doivent apprendre à faire leur vie loin de leur pays d’origine. Et, très souvent, ils souffrent de traumatismes psychiques engendrés par les horreurs qu’ils ont vécues.
Les différents troubles psychopathologiques chez les mineurs non accompagnés
Quelle que soit l’histoire des jeunes arrivant en France, les traumatismes liés à leur exil sont souvent graves.
Des symptômes sévères liés au traumatisme de leur exil
Le psychotraumatisme, que l’on nomme également état de stress post-traumatique, fait référence à un ensemble de troubles psychiques qui peuvent se développer chez une personne ayant subi un évènement traumatique (viol, agression physique, attentat, etc.). Cet état peut durer plusieurs années si aucune prise en charge n’est proposée. Le psychotraumatisme se traduit par un certain nombre de symptômes :
- une reviviscence de l’évènement, à savoir que le mineur revit sans cesse ce qu’il a subi. Cela peut prendre la forme de cauchemars, de flash-back. Certains bruits, mais aussi des odeurs, etc., peuvent lui rappeler ce moment traumatisant ;
- l’évitement fait également partie des symptômes de ce type de traumatisme : le mineur va fuir tout ce qui va lui rappeler le choc qu’il a ressenti : les transports en commun, des activités particulières, par exemple ;
- il est constamment dans un état d’hypervigilance, à l’affût du moindre danger. Le mineur est toujours sur ses gardes : il sursaute au moindre bruit, il peine à se concentrer, il se réveille en panique en pleine nuit, il est nerveux ;
- il peut souffrir d’amnésie traumatique : celle-ci peut être fragmentée ou totale. Le jeune exilé ne se souvient plus du traumatisme qu’il a subi. Une dissociation s’opère au moment du choc : le stress est tel que le cerveau se déconnecte des circuits émotionnels et de ceux de la mémoire ;
- si le mineur a subi des violences très graves, plusieurs traumatismes, cela entraîne un état de stress post-traumatique complexe : la souffrance psychique se manifeste par des symptômes physiques (migraines, maux de ventre, palpitations, etc.), il peut avoir des épisodes délirants ou des moments de confusion. Sa personnalité peut-être également modifiée.
Le psychotraumatisme impacte fortement le quotidien des mineurs non accompagnés :
- d’un point de vue psychique, ils sont souvent dans un état dépressif et se sentent fortement dévalorisés. Ils ont un sentiment d’insécurité et peuvent faire preuve d’agressivité pour se protéger. Ils ont une image très négative d’eux-mêmes, et ont du mal à vivre l’instant présent, car ils sont obnubilés par l’évènement traumatique qu’ils ont subi ;
- d’un point de vue comportemental, ils sont souvent sujets aux addictions pour tenter d’apaiser leurs angoisses, ils peuvent avoir des conduites destructrices, s’isoler, et les tentatives de suicide sont nombreuses ;
- d’un point de vue somatique, ils sont sujets aux insomnies et se plaignent de douleurs physiques.
Selon Charlotte MAREAU, docteure en psychologie, « le psychotraumatisme entraîne une dissociation intrapsychique qui peut avoir des conséquences déroutantes pour les intervenants sociaux : mises en danger multiples, incapacité à identifier les relations toxiques, banalisation des violences vécues (prostitution, par exemple). »
Des traumas liés au parcours d’exil
Les syndromes psychotraumatiques sont liés à des chocs vécus dans le pays d’origine, lors du voyage migratoire, mais aussi à la précarité de leur situation une fois dans le pays d’accueil.
Dans le pays d’origine
De nombreux exilés ont quitté un pays en proie à la violence, certains ont été victimes d’agressions extrêmement traumatisantes (tortures, violences psychologiques, etc.). Souvent, leur santé mentale est altérée avant même qu’ils entreprennent leur voyage.
Lors du voyage migratoire
Lors de leur voyage d’exil, ils sont confrontés à des violences multiples. Certains traversent des itinéraires où ont lieu des guerres, des conflits. Ils sont emprisonnés et torturés. Nombre d’entre eux sont également victimes d’agressions sexuelles. À cela s’ajoute la perte d’un ou plusieurs membres de leur famille pendant le voyage (assassinats, noyades, etc.). Ils se retrouvent alors seuls, et sont parfois rongés par la culpabilité de ne pas avoir pu venir en aide à leurs proches. Ils perdent totalement leurs repères, car ils ne peuvent plus s’appuyer sur la protection de leur famille.
Dans le pays d’accueil
Lorsque les mineurs non accompagnés arrivent en France, ils se heurtent parfois au rejet de la population ainsi qu’aux démarches administratives particulièrement lourdes. Ils doivent raconter leur parcours pour pouvoir être aidés, mais souvent, leur mémoire leur fait défaut. Ils n’ont pas l’habitude d’exprimer ce qu’ils ont vécu et ce qu’ils ressentent. Cela leur paraît impossible de se livrer. Sans récit convaincant, ils ne sont pas pris au sérieux, et sont susceptibles de voir leur demande d’asile rejetée. À cela s’ajoute le choc culturel, car ils se retrouvent immergés dans un pays aux coutumes différentes.
De plus, la procédure en reconnaissance de minorité est très complexe. Les délais peuvent être longs, ce qui augmente leur angoisse de ne pas pouvoir être protégés.
Les jeunes dont la minorité n’est pas reconnue ne peuvent être pris en charge par la protection de l’enfance. Ils ne perçoivent donc aucune aide financière. Ils vivent dans des conditions extrêmement précaires, et perdent confiance en l’avenir, car en arrivant dans ce pays, ils s’imaginaient trouver des jours meilleurs. Beaucoup se retrouvent dans la rue alors qu’ils n’avaient pas l’habitude de vivre dans de telles conditions dans leur pays d’origine. Ils entrent alors dans une logique de survie et sont souvent victimes d’agressions.
Des besoins de soins très importants
Les professionnels du social et médico-social se retrouvent souvent face à des jeunes suspicieux, qui ont du mal à accorder leur confiance. Comme beaucoup de jeunes souffrent de dépression, ils ont du mal à se prendre en charge : ils oublient de se rendre aux rendez-vous médicaux ou administratifs, ils s’isolent, ils ne parviennent pas à demander l’aide dont ils ont besoin. C’est pourquoi l’intervention des travailleurs sociaux est primordiale pour les aider à gérer le quotidien et éviter qu’ils deviennent invisibles au sein de la société.
La prise en compte de la transculturalité dans les accompagnements
Lorsque les mineurs non accompagnés sont pris en charge au niveau des soins, les professionnels doivent prendre en compte leur culture. C’est pourquoi il est important que les intervenants adaptent leurs pratiques en développant des compétences transculturelles. En effet, en fonction de leur culture, les MNA n’ont pas la même conception de la souffrance psychique et de la maladie. En rejoignant leur vision du monde, les soignants ou travailleurs sociaux portent un regard différent sur le jeune exilé, ce qui facilite le diagnostic. En effet, ce dernier peut-être faussé si les différences culturelles dans l’expression de la douleur physique et psychique ne sont pas prises en compte.
Le recours à des référents culturels, à des interprètes ou à des médiateurs ethnocliniques peut s’avérer très efficace pour une meilleure prise en charge. Cela permet de tenir compte des appartenances culturelles de l’exilé afin de penser autrement la relation d’accompagnement. Ils aident le professionnel à prendre connaissance de la culture de l’exilé, et mettent en confiance le jeune, car ils jouent le rôle d’intermédiaires entre le mineur et le professionnel, entre deux mondes culturels d’appartenance. L’important est de prendre conscience que chaque culture a sa place, que les normes culturelles de chacun ne sont pas des normes universelles. C’est ce qui permet d’aller à la rencontre de l’autre grâce à l’écoute active, et de proposer au mineur un parcours d’accompagnement qui lui correspond.
Charlotte MAREAU ajoute que « le statut de MNA vient bouleverser le processus de construction identitaire propre à l’adolescence. C’est pourquoi il peut être important pour le travailleur social de prendre un temps pour évoquer les bouleversements induits par les transformations de l’adolescence et les particularités de celle-ci dans le double contexte de l’exil et du traumatisme. Ici aussi, la capacité du jeune à réaliser son individuation tout en s’inscrivant dans un collectif sera un enjeu central. »
L’importance de la pluridisciplinarité
Les mineurs isolés n’ont pas de parents ou de proches pouvant les soutenir dans leur détresse, ce qui représente un gros frein à l’amélioration de leur état psychique.C’est pourquoi l’accompagnement de ces jeunes doit être pluridisciplinaire, à savoir qu’il est nécessaire de faire appel à des intervenants aux profils distincts (pédiatre, médecin généraliste, gynécologue, psychiatre, nutritionniste, etc.) parce que les MNA souffrent à la fois psychiquement et physiquement.
Une prise en charge globale permet aux professionnels de travailler en partenariat et de se solliciter mutuellement pour apporter des réponses adaptées au jeune. Cela évite qu’ils se retrouvent face à des problématiques auxquelles ils seraient incapables de répondre s’ils ne fonctionnaient pas en équipe pluridisciplinaire. La cohésion d’équipe est donc ici essentielle. Grâce à ce suivi, le mineur isolé va prendre conscience que sa souffrance psychique va pouvoir être soignée, qu’il ne restera pas toujours dans cet état.
Charlotte MAREAU insiste sur le fait que « l’accompagnement pluridisciplinaire est essentiel pour ces jeunes, comme pour toute personne ayant vécu de telles effractions. Mais la particularité de l’exil rend complexe et indispensable leur socialisation. Développer des activités en petits groupes, des jeux et des débats facilitant l’acculturation est un puissant levier de reconstruction. Idéalement, le MNA doit avoir à la fois accès à des lieux porteurs des signifiants de sa culture et à des espaces pour découvrir la culture française. »
La citation de Marie-Rose MORO, pédopsychiatre, va dans ce sens : « Ce sont les mots mieux que les sols qui nous portent et nous enracinent. »
L’importance de la formation dans le secteur social et médico-social
Les professionnels se retrouvent souvent démunis pour prendre en charge ces mineurs non accompagnés très vulnérables du fait de leur précarité sociale et administrative, mais aussi de leur isolement. En effet, les travailleurs sociaux se retrouvent face à de nombreuses problématiques auxquelles il leur est bien difficile de répondre. Le fait d’accompagner des exilés sans famille, et extrêmement fragiles, fait naître un fort sentiment d’impuissance chez ces intervenants. Ils ne sont pas toujours suffisamment formés aux spécificités de ce type de public.
Chez Epsilon Melia, nous sommes conscients de la difficulté pour les professionnels de connaître les spécificités de l’exil chez les mineurs ainsi que les risques de psychopathologie que ces parcours difficiles peuvent engendrer. C’est pourquoi nous avons créé une formation pour les aider à mieux comprendre l’impact des évènements traumatiques vécus par les mineurs isolés ainsi que les accompagnements qu’il est judicieux de mettre en place.
Si vous ressentez le besoin de profiter de ce programme, nous pouvons nous déplacer dans toute la France ainsi que dans certains pays francophones. Nous vous invitons à nous contacter si vous souhaitez obtenir des renseignements complémentaires.
Pour en savoir plus sur le traumatisme de l’exil chez les mineurs non accompagnés, le film Moi Capitaine, est sorti au cinéma en janvier 2024. Il raconte l’histoire de deux jeunes Sénégalais qui quittent leur pays natal pour essayer de trouver une vie meilleure en Europe.
Nous remercions Charlotte Mareau, docteure en psychologie et formatrice pour Epsilon Melia, pour les informations précieuses qu’elle nous a fournies pour la rédaction de cet article.