Comment accompagner les victimes et auteurs d’agression sexuelle en EHPAD ?
En institution, la sexualité des résidents est souvent difficile à aborder. L’inconscient collectif tend à considérer que les personnes âgées n’ont pas de vie sexuelle, ce qui est totalement faux ! Méconnaître cette réalité nous conduit parfois à en négliger une autre : celle des violences sexuelles au sein des maisons de retraite. L’entrave du désir, l’isolement social et les troubles cognitifs liés à l’âge menacent la santé sexuelle de nos ainés. Cette ressource propose quelques pistes pour prévenir et prendre en charge l’agression sexuelle en EHPAD.
Mieux appréhender la sexualité des personnes âgées
Notre société véhicule l’idée que les seniors ne font pas l’amour. Seuls les beaux et les jeunes corps auraient droit au plaisir et à la jouissance. Pourtant, le désir sexuel est une réalité pour les personnes âgées : il convient de la prendre en compte pour s’assurer de leur bien-être et de leur santé intime.
Les professionnels et les familles ont des croyances sur la vie sexuelle des résidents
Elles sont héritées de notre éducation, de notre religion, de notre histoire amoureuse, de notre époque… Ces représentations du sexe et de la vieillesse influencent nos comportements personnels et professionnels.
Pour certains soignants et certaines familles, la sexualité des personnes âgées n’existe pas : leur corps abîmé par l’âge ne peut être désiré, ni désirant, ou bien leur fragilité physique les empêche de pratiquer l’acte. Pour d’autres, la vie sexuelle n’a pas sa place en institution, lieu de vie collectif ou toute intimité est hors de portée. Pour d’autres encore, elle pourrait être possible mais se heurte à des obstacles organisationnels, juridiques ou éthiques.
La sexualité des personnes âgées est pourtant une réalité
Toutefois, la vie sexuelle des personnes âgées existe bel et bien ! La sexualité est une composante essentielle de la psyché humaine qui se construit et nous anime jusqu’à notre mort. Son expression est un besoin humain essentiel. Ainsi, les recherches démontrent que la sexualité représente un centre d’intérêt important pour 79 % des hommes et 65 % des femmes âgés de 70 à 85 ans (Laumann et Waite, 2020).
Pour nos anciens comme pour les plus jeunes, l’activité sexuelle présente même des bénéfices physiologiques et psychologiques. D’un côté, elle contribue à prévenir l’incontinence, à diminuer le risque de cancer de la prostate, de dysfonctionnement érectiles et de troubles sexuels. De l’autre, elle renforce l’estime de soi et permet à l’individu de s’épanouir dans la relation, ce qui le protège contre le stress et la dépression.
Prendre soin de nos aînés, c’est aussi prendre soin de leur santé sexuelle
Certes, le vieillissement entraîne des changements corporels et fonctionnels (diminution de la testostérone chez les hommes, de la lubrification vaginale chez la femme…) mais il ne neutralise pas le désir sexuel. Il est nécessaire d’en tenir compte pour accompagner les personnes dans la réalisation de ce désir sans qu’elle ne menace leur santé. Le cas clinique de Mme B. en témoigne :
Mme B., âgée de 83 ans, a été surprise à se masturber dans sa chambre avec des objets ou des restes de nourriture. Il en résulte de nombreuses infections. Ainsi, dès que Mme B. se masturbe, c’est le médecin qui est sollicité pour intervenir (parfois en présence de la psychologue).
Si la situation est abordée uniquement d’un point de vue médical, elle risque de ne pas avancer. En effet, le médecin peut traiter l’infection : elle reviendra si les pratiques continuent. Pour réduire les infections tout en prenant en compte le besoin sexuel de Mme B., l’utilisation d’un sextoy adapté doit être envisagé. Il ne s’agit pas de réprimer ses pratiques masturbatoires, mais bien d’y apporter une aide afin de limiter le risque infectieux.
L’accompagnement de la sexualité des personnes âgées en EHPAD est donc un enjeu sanitaire qui permet de prévenir les problèmes de santé physique, mais aussi les violences sexuelles.
Agression sexuelle EHPAD : comprendre pourquoi le public y est plus vulnérable
En maison de retraite comme ailleurs, l’agression sexuelle désigne tout acte sexuel commis sur une personne par un agresseur sans le consentement exprès de celle-ci. Or, le risque d’être victime ou auteur de violences sexuelles est accru pour les personnes âgées, car un grand nombre d’entre elles souffrent de pathologies affectant leur perception des situations.
Les difficultés affectives peuvent pousser au passage à l’acte
Certes, plusieurs facteurs conduisent à l’acte de violence sexuelle. L’agression est un processus dynamique qui prend en compte le vécu de l’auteur, la personnalité de la victime, le contexte de leurs interactions, le cadre institutionnel…
On observe néanmoins qu’une grande vulnérabilité affective augmente le risque de passage à l’acte. L’isolement relationnel, l’insécurité affective, le fait de ne pas être entendu dans ses désirs génèrent de la violence. Il est donc important de rester à l’écoute des besoins des personnes pour prévenir toute agression sexuelle en EHPAD.
Troubles du comportement, troubles cognitifs : un risque pour les agresseurs et les victimes
De plus, le vieillissement altère notre cerveau et ses capacités. Notre perception de la réalité s’en trouve modifiée de manière plus ou moins importante. On parle de troubles cognitifs. Chez certains résidents, ces troubles donnent lieu à comportements sexuels inadaptés :
- propos sexuels explicites envers le personnel ou d’autres résidents ;
- exhibition ou masturbation en public ;
- avances sexuelles aux aides-soignantes ;
- tendances à se coucher avec d’autres résidents sans y avoir été invité…
Les personnes souffrant de pathologies neurodégénératives, comme la maladie d’Alzeihmer par exemple, peuvent se retrouver dans la même posture. Elles ne parviennent plus à maintenir la frontière entre leur vie interne (pensée, fantasmée), leur corps et leur environnement. Elles développent alors des troubles du comportement en rupture avec leur personnalité antérieure et deviennent dangereuses pour elles-mêmes et pour les autres.
Car si ces 2 types de troubles peuvent conduire la personne à commettre une agression sexuelle, elles constituent aussi des facteurs de risques pour les victimes, comme le montre le cas clinique de Mme G. :
Mme G., 85 ans, présente une malade d’Alzheimer sévère. Veuve, elle répète aux équipes de façon stéréotypée qu’elle attend son mari qui ne devrait pas tarder à venir la rejoindre. Un dimanche après-midi, ses enfants la découvrent nue au lit avec un résident. Lui maintient qu’elle était consentante, et elle s’étonne : « Mais, c’est mon mari ! »
Le consentement de la personne âgée est difficile à évaluer
Le fait d’être une femme, un veuvage récent, une pathologie entraînant une dépendance sont autant de paramètres augmentant les risques d’être victime de violence. Mais cet épisode met aussi en lumière la difficile évaluation du consentement sexuel de la personne âgée. Un individu souffrant d’un déficit cognitif peut ne pas bien comprendre la demande d’un partenaire d’engager ou d’arrêter une pratique sexuelle. Une personne atteinte de démence peut devenir anxieuse, agitée ou désorientée pendant un acte sexuel, rendant son consentement incertain.
Si chacun doit pouvoir vivre sa sexualité en EHPAD, il ne doit pas le faire au détriment des autres ! Voici quelques questions que peut se poser le professionnel pour évaluer la capacité d’un résident à s’engager dans une relation sexuelle.
- Le patient est-il conscient de la personne qui initie le contact sexuel ?
- Une idée délirante ou une méprise dans l’identification affecte-t-elle son choix ?
- Peut-il exprimer le degré d’intimité sexuelle avec lequel il se sent à l’aise ?
- Le comportement est-il conforme à ses convictions et à ses valeurs antérieures ?
- Peut-il décrire sa réaction quand et si la relation prend fin ?
Travailler sa posture professionnelle auprès des victimes et auteurs d’agressions sexuelles
L’état de fragilité de la personne âgée en institution appelle tout particulièrement la vigilance des professionnels. Auxiliaires de vie, aides-soignants, infirmiers, psychologues… œuvrent pour prévenir le passage à l’acte et prêtent une oreille attentive aux révélations des personnes accueillies. Une prise en charge efficace réside avant tout dans une posture professionnelle adaptée.
Je me protège, je protège les résidents et les membres de mon équipe
Les établissement doivent mettre en place une surveillance renforcée des résidents pouvant poser problème. Leur responsabilité peut être engagée en cas d’agression sexuelle en EHPAD, surtout si aucune mesure préventive n’a été prise.
Chaque professionnel peut agir en ce sens, afin de protéger les autres et de se protéger lui-même. Il existe par exemple quelques conseils très pratiques pour réagir face à une personne désinhibée :
- Donnez-lui un gros oreiller ou une peluche à enlacer : cela pourra satisfaire son besoin de ressentir la chaleur d’un corps humain ;
- Évitez de l’approcher d’une manière qui pourrait être mal interprétée (toucher de genou, bras autour de sa taille… ;
- En cas d’avances sexuelles à un co-résident ou à un collègue, essayez de la distraire avec une activité qui lui occupe les mains ;
- En cas de récidive, demandez à ses proches des vêtements qui se ferment dans le dos ou des bretelles si elle enlève son pantalon ;
- Restez calme, ne la jugez pas et ne la réprimandez pas.
J’adopte la bonne posture pour recueillir la parole de la victime
Il peut arriver qu’une victime de violence sexuelle vous choisisse comme personne de confiance pour révéler ce qu’elle a subi. Recueillir ce récit douloureux peut être éprouvant. Ces quelques recommandations vous aideront à maintenir un échange apaisé et respectueux :
Pendant l’entretien…
- restez calme et ouvert ;
- écoutez le récit sans juger ce qui vous est dit ;
- ne forcez pas la confidence ;
- valorisez le courage de parler.
Rappelez-vous qu’une plainte ne peut être déposée que par la victime elle-même ou son représentant légal. Votre rôle est de procéder à un recueil d’informations. En ce sens, n’hésitez pas à noter le plus de détails possibles (contexte de l’agression, paroles prononcées, gestes commis, présence/absence d’autres personnes…).
Agression sexuelle EHPAD : je m’en mêle sans m’emmêler
La loi (articles 434-4 et 223-6 du Code pénal) impose à tout un chacun de porter assistance aux personnes vulnérables. Lorsqu’il a connaissance d’une situation de maltraitance, le salarié doit en informer rapidement sa hiérarchie et/ou évoquer la situation en équipe afin de prendre les dispositions nécessaires. Elles pourront prendre différentes formes :
- mesures de protection de la victime ;
- sanction disciplinaire si l’auteur est un agent ;
- saisie des instances concernées (Comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHFST), médecine du travail…) ;
- information à l’Agence Régionale de Santé (ARS) par une fiche de déclaration d’évènement indésirable grave ;
- information de la famille ;
- accompagnement de la victime dans son dépôt de plainte si elle le souhaite.
Vous n’êtes pas seul·e face à ces situations délicates ! Outre vos collègues, la Fédération 3977 contre la maltraitance, l’ARS et la Justice (procureur de la République) peuvent vous accompagner ou prendre le relais.
La prise en charge d’une agression sexuelle en EHPAD est complexe. Le professionnel doit interroger sa représentation de la sexualité des personnes âgées et bien connaître les pathologies spécifiques à ce public. Notre formation dédiée l’aidera à prendre du recul sur le sujet pour retrouver du pouvoir d’agir.