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Comment aborder la sexualité des ados en institution ?

L’adolescence est une période particulièrement délicate du fait des changements physiques et psychologiques qu’elle engendre. Les jeunes doivent pouvoir trouver les réponses aux questions qu’ils se posent, notamment celles liées à la sexualité. Les professionnels du secteur social et médico-social qui prennent en charge des adolescents sont particulièrement concernés, car ils sont quotidiennement confrontés à des problématiques particulières liées à la vulnérabilité des publics. Depuis les années 2000, l’OMS soutient une approche générale et positive de l’éducation à la sexualité, elle n’est plus seulement médicale.

Cependant, les professionnels ne sont pas toujours suffisamment armés pour aborder la sexualité de façon adéquate au sein des institutions. C’est pourquoi la formation reste une fois encore l’élément indispensable à un accompagnement adapté.

Dans un premier temps, nous verrons en quoi consiste cette nouvelle approche d’éducation à la sexualité. Nous analyserons ensuite quels sont les obstacles propres aux structures sociales et médico-sociales à travers l’exemple des MECS et institutions accueillant de jeunes handicapés. Enfin, nous étudierons les pistes de travail ainsi que les outils pouvant aider les professionnels à aborder plus sereinement la sexualité avec les ados qu’ils accompagnent.

Aborder la sexualité des ados en institution grâce à une nouvelle approche holistique et positive

L’Organisation mondiale de la santé (OMS) favorise depuis 2002 une approche plus  positive et globale de la sexualité, qu’elle considère comme faisant partie intégrante de la vie de chacun. Elle apporte ainsi des changements à l’approche classique qui s’était développée lors de l’arrivée du VIH, et qui consistait surtout à informer les jeunes sur les risques liés à la sexualité (maladies sexuellement transmissibles, grossesses précoces, avortement, etc.) et à les sensibiliser sur les méthodes de prévention (contraception, utilisation du préservatif, etc.). Les professions médicales se trouvaient alors en première ligne pour évoquer le sujet avec les adolescents. 

La nouvelle approche défendue par l’OMS s’appuie sur la notion de santé sexuelle : « La santé sexuelle est un état de bien-être physique, émotionnel, mental et social en matière de sexualité, ce n’est pas seulement l’absence de maladie, de dysfonctionnement ou d’infirmité. La santé sexuelle exige une approche positive et respectueuse de la sexualité et des relations sexuelles, ainsi que la possibilité d’avoir des expériences sexuelles agréables et sécuritaires, sans coercition, ni discrimination et ni violence. Pour atteindre et maintenir une bonne santé sexuelle, les Droits Humains et Droits sexuels de toutes les personnes doivent être respectés, protégés et réalisés ».

La santé sexuelle est donc aujourd’hui considérée comme un facteur indispensable de bien-être, et participe à la qualité de vie des individus. Il n’est donc plus question d’évoquer simplement les dangers liés aux relations sexuelles, car la dimension n’est plus uniquement biologique. Elle est aussi affective et sociale. C’est pourquoi il est important que les professionnels du secteur social et médico-social aient toute leur place pour aborder la sexualité avec les ados dont ils s’occupent.

Prendre en compte les bonnes pratiques pour l’éducation à la sexualité des jeunes : le cas des MECS

Ces pistes de travail font partie de la stratégie nationale de santé sexuelle élaborée en 2017, qui s’appuie sur l’approche défendue par l’OMS. L’objectif est de permettre à chacun d’avoir une vie affective et sexuelle respectueuse et équilibrée. C’est pourquoi les professionnels ont besoin de repères pour appliquer ces recommandations au sein des institutions. Ceux-ci sont particulièrement nécessaires dans les maisons d’enfants à caractère social (MECS), qui accueillent des mineurs en difficulté.

Se décentrer de soi pour comprendre l’autre

Le professionnel doit se questionner sur ses propres représentations liées à la sexualité. Sans ce travail personnel, il lui sera difficile d’aborder ce sujet avec les adolescents dont il s’occupe. Chaque intervenant a ses propres idées sur la question. Elles peuvent dépendre de sa religion, de sa culture, de l’éducation qu’il a reçue, etc. Prendre du recul par rapport à sa situation personnelle lui permet de prendre en compte la manière de fonctionner de l’autre et de ne pas rester centré sur sa propre pratique. Il doit partir des représentations du jeune (sur la contraception, ses pratiques sexuelles) et l’accompagner vers l’autonomie.

Opter pour une écoute bienveillante, qui mette en avant le respect des différences 

Il est important de ne pas stigmatiser les pratiques qui seraient autres qu’hétérosexuelles, faire croire qu’il s’agit de la norme. Tout le monde doit pouvoir être intégré dans les échanges. Si le professionnel évite de parler de certains sujets (homosexualité, bisexualité, question du genre, etc.), cela rompt le dialogue avec les adolescents, qui ne se sentiront alors pas en confiance et penseront que seuls les hétérosexuels ont leur place dans la société. 

À l’inverse, si le professionnel montre qu’il est ouvert à toute discussion, qu’il respecte les orientations sexuelles de chacun, le jeune va être plus enclin à se confier et à tenir compte des messages qu’il lui transmet. Il ne se sent pas jugé, et peut ainsi poser plus facilement des questions sur la sexualité.

Le travail sur la mixité

Les adolescents pris en charge dans les MECS ont une vie chaotique et un mal-être important. Ayant été privés d’un environnement stable, ils ont du mal à construire leur identité. Cela se traduit généralement par un comportement autodestructeur (scarifications, tentatives de suicide, addictions, etc.) et une relation à l’autre très compliquée (méfiance, agressivité, etc.).

Dans ces établissements, les jeunes ont été placés pour plusieurs raisons : soit ils sont en danger (milieu familial inadapté à l’épanouissement du mineur ou jeune adulte), soit ils ont commis des actes de délinquance.

Lorsque les éducateurs abordent la sexualité dans ces institutions, ils sont confrontés aux types de rapports garçons/filles. Chaque jeune a des visions erronées du sexe opposé. Certaines filles préféreraient être des garçons, car elles se sentent dévalorisées et mises en position d’infériorité par le sexe masculin (manque de respect de la part des garçons, insultes, etc.). De par leur comportement, les garçons stigmatisent les filles. 

Travailler sur la mixité ne signifie pas simplement favoriser la rencontre entre les sexes opposés, mais aussi permettre aux filles et aux garçons de vivre ensemble sans qu’il y ait obligatoirement une relation affective ou sexuelle. Malgré tout, si une telle relation se noue, les éducateurs doivent faire preuve de bienveillance, et veiller à la sécurité des adolescents concernés.

Les professionnels doivent également avoir à l’esprit que l’apprentissage de la sexualité n’est pas le même pour les filles que pour les garçons. Les garçons ont besoin de prouver qu’ils sont des hommes en se montrant capables d’avoir des relations sexuelles. À l’inverse, les filles ont le souci de se percevoir désirables dans le regard des autres. 

Réfléchir sur le genre peut faciliter ce travail sur la mixité. En effet, cela peut permettre à chaque adolescent de voir le sexe opposé sous un angle distinct et de s’ouvrir plus facilement à l’autre.

Le travail sur le genre

L’adolescence est une période où la quête de l’identité est encore plus complexe. Entre la norme dictée par les proches, et les nouveaux modèles de relations amoureuses, le jeune est facilement perdu. C’est pourquoi il est important que le professionnel aborde la question du genre pour lutter contre les stéréotypes encore bien ancrés dans notre société. Le jeune doit pouvoir exprimer son opinion sans être victime de jugements. L’éducateur doit faciliter la libération de la parole et apprendre à chacun à s’écouter. Ce travail permet aussi de prévenir les violences sexistes et sexuelles.

Aborder la question du consentement

Il faut apprendre aux ados à dire que leur corps leur appartient, qu’ils ont le droit de dire non même si le partenaire en a décidé autrement. Ils doivent aussi respecter l’autre s’il n’a pas envie de satisfaire leurs désirs. De nombreux ados fréquentant les institutions ont été victimes de violences sexuelles, ils n’ont donc pas cette notion de consentement en tête puisqu’on ne leur a pas donné la possibilité de dire non. Ils pensent n’avoir aucun droit sur leur corps et que chacun peut en disposer à sa guise. Ils n’ont pas cette notion de respect mutuel en tête.

Travailler sur le consentement, c’est parler de l’égalité des sexes, c’est aussi permettre d’éviter le viol. Le professionnel doit également remettre en question de nombreuses idées préétablies largement diffusées par la pornographie, qui donnent une image fausse des rapports sexuels. Les adolescents sont constamment exposés aux écrans ou ont facilement accès via Internet à des images choquantes et violentes, qui leur renvoient un modèle de sexualité basé sur la domination. Ce travail sur le consentement concourt à améliorer les relations entre les garçons et les filles.

Malgré la mise en place de cette nouvelle approche positive de la vie sexuelle et affective, il est très compliqué pour les professionnels de traiter de ce sujet auprès des ados dans la mesure où beaucoup ont subi des traumatismes. Ils sont donc bien souvent dans des positions inconfortables face à certains comportements (tentative de séduction de l’éducateur spécialisé par certains ados, etc.). De plus, ce thème est encore très tabou pour certains intervenants, qui ont du mal à aborder la sexualité sous un autre angle que celui des risques.

Avoir conscience des obstacles qui empêchent de discuter sereinement de la sexualité avec les adolescents

En théorie, l’approche de la sexualité se doit d’être beaucoup plus ouverte qu’autrefois. Dans les faits, sa mise en œuvre est beaucoup plus compliquée étant donné la vulnérabilité des jeunes dont les professionnels du secteur social et médico-social s’occupent quotidiennement.

Le professionnel est mal à l’aise d’aborder la question de la sexualité avec l’ado

Il peut être gêné de parler de ce sujet avec les jeunes parce qu’il considère que cela relève de la sphère privée. Il peut aussi craindre d’être perçu comme trop normatif, de ne pas être suffisamment ouvert, de trop se baser sur les interdits, ce qui peut rebuter les ados à se confier. Enfin, il peut avoir l’impression de violer l’intimité des adolescents. 

Quelle que soit la raison du malaise ressenti par l’intervenant, il est important qu’il ose la mettre en mots afin de pouvoir être entouré par le reste de l’équipe. Il peut ainsi passer le relais à un professionnel plus à l’aise avec le sujet ou se faire conseiller. Certains professionnels du secteur social et médico-social ont du mal à effectuer cette démarche auprès de leurs collègues. Dans tous les cas, l’important est que le professionnel amené à aborder la sexualité avec les ados leur fassent comprendre qu’ils peuvent faire ce qu’ils veulent à condition d’être responsables, consentants, et qu’ils respectent le cadre légal.

Il n’existe pas de réponse toute faite 

Le professionnel se retrouve bien souvent dans des situations très délicates lorsqu’il est amené à aborder le sujet de la sexualité, car les jeunes qu’il accompagne ont des visions de la sexualité qui peuvent être faussées du fait de leur passé douloureux (inceste, attouchements, etc.). Difficile de trouver des réponses adaptées pour chacun et de parler positivement de sexualité face à un jeune traumatisé. Ces ados ont été habitués à subir des comportements déviants, ils vivent donc dans la confusion la plus totale. Ils considèrent certains comportements sexuels comme normaux. Souvent, cette normalité est insinuée dans les familles, il s’agit d’un fonctionnement familial, donc le jeune peut avoir l’impression que cette pratique existe dans toutes les familles. Il n’a pas toujours conscience que ces attitudes sont pathologiques. Par conséquent, il est très difficile pour l’intervenant de trouver la bonne attitude, les bons mots, pour remettre en question ces actes violents. 

À noter que les éducateurs sont souvent en première ligne face aux manifestations problématiques qui peuvent avoir lieu au sein des structures de placement. Les adolescents ayant été victimes de violences sexuelles sont totalement perdus et peuvent reproduire les mêmes comportements au sein de l’institution, car ils les considèrent comme des modèles. Parfois, l’éducateur peut remplacer la figure parentale pour ces ados. Tout ce que le professionnel est amené à dire ou faire peut être mal interprété par le jeune. C’est pourquoi il est important qu’il vérifie auprès de l’adolescent s’il a correctement compris ses propos, qu’il lui demande de reformuler ce qui a été dit.

Le danger de la prostitution chez les filles

Les adolescents qui sont victimes de prostitution ont souvent peu de repères sociaux, psychoaffectifs, et éducatifs. Ils n’ont pas toujours été victimes d’abus sexuels. L’impact médiatique est aujourd’hui très important. Les réseaux sociaux, la pornographie, la notion d’argent facile (témoignages d’Escort girls qui s’enrichissent en se prostituant), peuvent encourager les jeunes dans cette voie. Les professionnels intervenant auprès des enfants placés sont particulièrement exposés à la problématique de l’exploitation sexuelle. Ils se retrouvent confrontés à des phénomènes de recrutement entre les ados pris en charge dans les institutions. Ici encore, les éducateurs peuvent avoir des représentations différentes en fonction de leur culture, éducation, etc., et avoir des approches différentes. Le mineur doit être accompagné pour qu’il comprenne la violence qu’il subit et pourquoi il est en danger. La prévention est également primordiale.

Connaître les particularités liées à la sexualité dans les structures accueillant des ados handicapés 

La vie sexuelle et affective est devenue un droit pour chaque être humain. C’est la loi du 4 juillet 2001 qui prévoit que les institutions sociales et médico-sociales accueillant des handicapés doivent proposer une éducation à la sexualité ainsi qu’à la contraception. C’est pourquoi ces structures doivent proposer un accompagnement aux adolescents en situation de handicap.

Aborder la sexualité avec des jeunes porteurs de handicap s’avère compliqué, tout comme pour les ados vivant dans les MECS. Les problématiques sont différentes même si la gêne de certains professionnels est toujours présente. Ces adolescents sont bien souvent encore considérés comme des enfants, il peut donc paraître inutile de s’intéresser à ce sujet. Certains parents sont également choqués que l’on puisse envisager d’en parler à leur enfant, car ils sont certains que celui-ci ne peut avoir de désir sexuel. Certains jeunes handicapés ressentent l’interdit de la part de leur entourage, même si celui-ci n’est pas toujours exprimé consciemment, et n’osent donc pas aborder le sujet (de nombreuses personnes pensent encore que les relations intimes sont impossibles pour les personnes souffrant d’un handicap). 

Pourtant, en raison de leur grande vulnérabilité, ces adolescents doivent être accompagnés pour éviter qu’ils prennent des risques, suite à un manque d’information. Les professionnels doivent compenser les réticences des parents à aborder la sexualité avec leur ado. Ils doivent également aborder l’aspect affectif de la sexualité, la question du consentement. En effet, en raison de la déficience, et donc de la difficulté d’une empathie, le professionnel travaille plus sur le côté tactile que sur la sexualité en elle-même.

Suite à ces constats (réticences, problèmes d’application des recommandations, etc.) , un programme nommé Handicap et Alors a été mis en place en 2011 à destination des adolescents et adultes en situation de handicap. Les équipes du planning familial se rendent dans les structures accueillant des handicapés, en particulier les IME (l’institut médicoéducatif est destiné aux enfants et jeunes atteints d’un handicap mental) pour aider les jeunes à avoir une sexualité épanouie, qui soit déculpabilisée. Ils les informent sur les risques et les particularités de leur handicap afin qu’ils puissent être autonomes, etc. Les personnes porteuses d’un handicap sont considérées comme des êtres pouvant accéder à la sexualité, au même titre que les autres.

Se doter d’outils fiables pour parler de sexualité avec les jeunes

Pour parler de sexualité avec les adolescents, plusieurs outils sont à disposition des professionnels. Ils peuvent les utiliser lors d’entretiens individuels ou collectifs. Ce qui relève de la sphère privée doit plutôt être évoqué en individuel. Certains jeunes ont subi des viols, des incestes, etc. Mais la sexualité peut être abordée en groupe par l’intermédiaire d’une approche plus globale. Toutefois, la formation reste l’outil principal susceptible d’accompagner au mieux les jeunes sur le sujet.

Les outils d’animation

Exemples d’outils qui favorisent l’expression :

  • l’Abaque de Régnier : les ados confrontent leurs représentations sur un sujet. Cela permet de favoriser la parole et de partager ses opinions. Le professionnel part de stéréotypes et fait débattre les jeunes. Par exemple, l’animateur peut dire la phrase suivante : « Les filles et les garçons ne sont pas égaux, car ils sont différents. » ;
  • le blason : ils doivent représenter visuellement ce qui est important pour eux. Ils peuvent utiliser des images, des symboles, et des mots.

Les professionnels utilisent également les jeux de rôles, proposent des activités sur le thème des émotions. Au sein du groupe, il est important de faire échanger les jeunes pour qu’ils se confrontent à l’écoute de l’autre, ce qui est primordial dans la sexualité.

Les sites Internet et vidéos

Certaines vidéos comme La tasse de thé permettent de sensibiliser l’ado de manière ludique.

Il existe également de nombreuses plateformes pédagogiques, par exemple :

La formation continue des professionnels du secteur social et médico-social reste l’outil majeur

Nous l’avons vu tout au long de cet article, aborder la sexualité avec les ados dans les institutions est loin d’être facile. Heureusement, il existe des formations fiables qui permettent aux professionnels de parfaire leur pratique.

Conscient des difficultés que peuvent rencontrer ces professionnels au quotidien, l’organisme de formation Epsilon Melia a créé plusieurs programmes :

Chez Epsilon Melia, nous adaptons nos formations à vos besoins. Nous pouvons nous déplacer sur toute la France, mais également dans certains pays francophones. Si vous avez besoin d’un conseil, n’hésitez pas à nous contacter.

Nous remercions vivement Vanessa BARCQ, thérapeute systémicienne, animatrice de GAP (groupe d’analyse des pratiques) ; ainsi que Fanny ROUSSEAU, psychologue, psychothérapeute, et sexologue, pour l’aide précieuse qu’elles nous ont apportée pour la rédaction de cet article.

Photo : Série « Sex education » – 11 Janvier 2019 créée par Laurie Nunn