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Comment recueillir la parole de l’enfant ?

Dans sa pratique, le professionnel de l’éducation ou du secteur sanitaire et social peut être alerté par des signes de maltraitance de l’enfant qu’il accompagne. Il est parfois confronté à des révélations plus explicites de violences sexuelles, psychologiques ou de mauvais traitements physiques. L’adulte se trouve alors dans une position délicate, celle de faire émerger et d’accompagner la parole de l’enfant pour pouvoir agir en vue de sa protection. Or, recueillir la parole de l’enfant demande une bonne connaissance de son fonctionnement cognitif et une solide maîtrise des protocoles de transmission. Cet article conjugue éléments d’information et conseils pratiques pour un recueil efficient de la parole du mineur.

Bien connaître les étapes du développement de l’enfant

Le professionnel chargé d’une mission de protection de l’enfance doit connaître les étapes de la construction psychique de l’enfant. Il lui est demandé d’évaluer les capacités cognitives de l’enfant auditionné, car celles-ci influencent nécessairement son récit.

L’immaturité de son développement peut expliquer son silence

Le mot enfant vient du latin infans, qui signifie « celui qui ne parle pas ». En effet, les enfants et adolescents sont des êtres en construction, dont les facultés cognitives s’acquièrent au fil des ans. Leur immaturité les rend particulièrement vulnérables aux maltraitances et négligences. Compréhension insuffisante de la sexualité, confusion au sujet de la situation abusive : l’enfant n’a pas toujours conscience qu’il est victime ou témoin de violence. Il revient à l’adulte de l’accompagner dans ce cheminement en s’adaptant aux réalités de son âge et de son développement.

La mémoire de l’enfant est moins performante que la nôtre

En entretien, l’adulte doit avoir à l’esprit que la mémoire de l’enfant fonctionne différemment de la sienne. Avant l’âge de 7 ans, les enfants ne disposent pas d’une structure mentale permettant d’organiser efficacement l’information. Ainsi, ils peuvent avoir du mal à se rappeler d’un souvenir en particulier car l’information est difficile à retrouver. Leur mémoire épisodique, qui permet de se rappeler en détail des événements vécus, se développe progressivement entre 2 et 7 ans.

Il faut donc accepter que les récits des jeunes enfants soient courts et lacunaires, au sens où plusieurs informations d’importance judiciaire peuvent manquer.

Recueillir la parole de l’enfant nécessite de prendre en compte sa suggestibilité

De plus, l’enfant est particulièrement suggestible : son environnement a une grande influence sur la manière dont ses souvenirs sont encodés, stockés et racontés. Ainsi, chez les enfants de moins de 6 ans, une information provenant du parent est toujours considérée comme vraie (Pool et Lamb, 1998).

L’intervenant doit pouvoir identifier ces influences dans le discours de l’enfant, mais aussi veiller à ne pas l’influencer lui-même. Il est particulièrement vigilant quant aux questions qu’il pose : elles doivent être suffisamment ouvertes pour favoriser un rappel libre des événements. Insister auprès d’un enfant pour obtenir des détails précis (description physique de l’agresseur, moment exact ou fréquence de l’agression…) risque de conduire à des réponses erronées. En effet, si la demande dépasse ses capacités cognitives, l’enfant peut se sentir obligé de répondre quand même – et invente une réponse pour satisfaire l’adulte.

Il est donc important de préciser à l’enfant qu’il n’est pas obligé de donner des détails qu’il ne connaît pas. Le professionnel, lui, doit être capable de renoncer à certaines informations qui ne pourraient être obtenues de manière fiable.

Les retards de développement sont fréquents chez les enfants maltraités

Les observations précédentes valent encore plus pour les enfants victimes de mauvais traitements. Exposés à un événement traumatique qui menace leur intégrité physique ou psychique, ils développent des troubles psychotraumatiques qui les affectent au quotidien. Ces troubles sont susceptibles d’altérer leur mémoire (amnésies traumatiques), leur estime d’eux-mêmes, leur comportement… et l’ensemble de leurs capacités cognitives.

S’ils peuvent alerter sur une situation préoccupante, ils compliquent parfois le processus de témoignage. Ainsi, le professionnel se trouve contraint d’adapter ses questions, en utilisant par exemple un vocabulaire à la portée d’un enfant de 2 ans de moins que l’âge de l’enfant interrogé. En somme, ce n’est pas l’âge réel qui doit être pris en compte mais l’âge développemental.

Bien que son développement soit inachevé, l’enfant est en mesure de produire un récit authentique et juste. Il convient pour cela de le questionner dans le respect de ses capacités et d’adopter une posture la plus aidante possible.

Encourager la parole du mineur par une posture bienveillante

L’enjeu de l’entretien est de faire émerger une parole authentique, fiable, pour mieux évaluer puis signaler un danger. La posture de l’intervenant est essentielle pour obtenir ce témoignage. Par son attitude bienveillante, encourageante, il crée les conditions pour que la révélation advienne et prend garde de ne pas influencer la parole de l’enfant.

Le professionnel adopte une posture facilitante pour recueillir la parole de l’enfant

L’approche systémique, les travaux de Carl Rogers et d’Elias Porter ont défini des critères pratiques pour adopter une posture bienveillante, qui encourage son interlocuteur à se confier. Il s’agit avant tout d’être présent à l’autre et de le lui témoigner, par exemple par son engagement physique : pieds ancrés dans le sol, regard soutenu… Cette présence de corps s’accompagne d’une présence psychologique. L’intervenant veille à comprendre le cadre de référence de l’enfant (conditionné par son âge, son milieu socioculturel, les discours hérités de ses parents…) et à le respecter. Il n’émet pas de jugement sur le récit de l’enfant, ce qui risquerait de l’inhiber ou de l’orienter.

Il encourage la parole des enfants abusés grâce à l’écoute active

Cette posture est consolidée par la méthode de l’écoute active. L’intervenant observe avec attention toutes les composantes du message de l’enfant : ce qu’il raconte, mais aussi comment il le raconte (gestes, ton de la voix…). Il manifeste son intérêt pour ce récit, en posant des questions ouvertes, en interrogeant l’enfant sur ses émotions, en reformulant – sans dénaturer le propos ! – pour s’assurer qu’il a bien compris. Ce faisant, il montre à l’enfant que sa parole a de la valeur.

Il s’appuie sur les émotions de l’enfant pour évaluer les situations de danger

Nous l’avons vu, les enfants se souviennent rarement des faits avec précisions ; mais leurs émotions jouent un rôle majeur dans l’enregistrement des événements. L’intervenant peut l’interroger sur celles-ci, sans se montrer directif : qu’as-tu ressenti à ce moment-là ? Comment te sens-tu quand tu penses à cela ? Des outils de médiation, comme une météo des émotions, permettent d’obtenir des indices auto-générés par l’enfant. Certains de ces outils l’invitent à s’exprimer sur l’intensité des émotions ressenties – les thermomètres de la peur ou de la colère par exemple. Ils peuvent aider à évaluer le risque de danger.

Ces quelques astuces ont vocation à susciter et à valoriser la parole de l’enfant pour un recueil d’informations efficace. C’est ensuite la question de la transmission de cette parole qui se pose à l’intervenant.

Recueillir la parole de l’enfant pour la transmettre aux autorités

En contexte de violence, la transmission de la parole de l’enfant est essentielle. Il convient de donner suite à ses révélations en sollicitant les autorités judiciaires et administratives. En effet, selon l’article 434-3 du Code pénal : « quiconque ayant connaissance de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger » se doit d’en informer ces autorités.

Le protocole NICHD augmente la fiabilité des témoignages des mineurs en danger

Or, il existe une technique permettant de recueillir efficacement la parole des enfants témoins et victimes. Créé en 1998 aux États-Unis, le protocole NICHD (National Institute of Child Health and Human Development) diminue la suggestibilité et augmente la crédibilité du témoignage. S’il est d’abord destiné aux enquêteurs et aux magistrats, sa mobilisation par les travailleurs sociaux, psychologues et professionnels de santé prépare le travail de la Justice.

Ce protocole se compose de 3 phases visant à créer les meilleures conditions d’audition possibles.

1. La phase pré-déclarative

Cette phase a pour objectif de mettre l’enfant en confiance. L’intervenant accueille l’enfant, échange avec lui. Il peut à cette occasion évaluer ces capacités cognitives. Surtout, c’est le moment de lui présenter les règles de l’entretien :

  • l’enfant est libre de dire qu’il ne comprend pas, qu’il ne connaît pas la réponse ;
  • il peut corriger l’intervenant si celui-ci retranscrit mal sa parole ;
  • il doit dire la vérité en ne parlant que de choses qui se sont réellement produites.

2. La phase déclarative

C’est le moment pour l’intervenant de recueillir la parole de l’enfant. Il l’invite à donner des détails, à éclaircir certains points, sans chercher à influencer sa parole et dans le respect de ses capacités.

3. La phase de clôture

Il s’agit de clôturer l’entretien de façon positive. L’intervenant remercie l’enfant pour sa participation, lui demande s’il veut ajouter quelque chose ou poser des questions. Il lui indique qu’il reste disponible au besoin. 

Information préoccupante, signalement au parquet : comment signaler aux autorités ?

Les propos recueillis doivent ensuite être communiqués, toujours par écrit, aux personnes compétentes. Les modalités de transmission dépendent des protocoles de l’institution (Protection Maternelle et Infantile, Éducation nationale, services sociaux…). En fonction de son rôle dans le système éducatif ou de soin, l’intervenant communique son écrit au référent de l’enfant ou transmet lui-même l’information aux autorités.

À cet égard, la loi prévoit 2 modes de transmission possibles : l’information préoccupante et le signalement.

L’information préoccupante

L’information préoccupante désigne tout élément d’informations (sociales, médicales ou autres) pouvant laisser craindre une situation de danger ou un risque de danger pour la santé, la sécurité ou la moralité d’un mineur. Transmise à la Cellule de Recueil des Informations Préoccupantes (CRIP) du département de l’enfant, elle vise à alerter le président du conseil départemental sur la situation.

Celui-ci est ensuite tenu d’en aviser toute personne exerçant l’autorité parentale sur l’enfant (père, mère, tuteur légal), sauf si cela est contraire à l’intérêt de l’enfant (article 226-2-2 du Code de l’action sociale et des familles).

Le signalement judiciaire

Effectuer un signalement consiste à informer l’autorité judiciaire de maltraitances graves, d’une nécessité de protection immédiate du mineur et/ou d’enquête pénale. Il est adressé au procureur de la République qui peut prendre une décision de protection de l’enfant en urgence.

Le cas du secret professionnel en protection de l’enfance

Dans le cadre d’une transmission, l’intervenant est donc amené à partager des informations sur la famille qu’il accompagne. Cette communication est encadrée par la loi :

« les personnes soumises au secret professionnel qui mettent en œuvre la politique de protection de l’enfance […] sont autorisées à partager entre elles des informations à caractère secret […] » (loi du 5 mars 2007, article L226-2-2 du Code de l’action sociale et des familles).

Cette disposition permet de mobiliser un réseau pluridisciplinaire de professionnels compétents, au service de la sécurité des mineurs. Chacun s’engage à limiter la transmission d’informations aux interlocuteurs concernés, eux-mêmes soumis au secret professionnel.

Recueillir la parole de l’enfant est un processus délicat, mais indispensable à la protection des enfants maltraités. Il est d’autant plus important d’être préparé à accueillir cette parole que la répétition est difficile pour le mineur : si la révélation se passe mal, il y a de fortes chances qu’il refuse de se confier de nouveau. Pour perfectionner ses savoir-être et savoir-faire, la formation continue s’avère une démarche fructueuse.